Coupe du monde féminine : en Afrique, l’irrésistible ascension du football féminin
Coupe du monde féminine : en Afrique, l’irrésistible ascension du football féminin
Par Mustapha Kessous
Alors que de plus en plus de fédérations du continent s’ouvrent aux femmes, les pionnières comptent sur la Coupe du monde pour convaincre les plus sceptiques.
L’équipe du Nigeria fête sa victoire contre la Côte d’Ivoire en finale de la Coupe de l’Union des fédérations ouest-africaines de football, à Abidjan, le 18 mai 2019. / ISSOUF SANOGO / AFP
Un jour, quelqu’un lui a dit : « L’autre fois, j’ai regardé un match pendant cinq minutes et je n’avais même pas remarqué que c’étaient des femmes qui jouaient. » Cette anecdote continue de la faire rire et Seyni Ndir Seck en est convaincue : les spectateurs vont être très surpris par la Coupe du monde féminine de football qui a débuté vendredi 7 juin à Paris.
« Cette compétition, c’est quelque chose d’énorme », se réjouit l’ancienne capitaine de l’équipe du Sénégal. Voir un public international et le monde médiatique s’intéresser à des footballeuses était un rêve inimaginable. Car au-delà de savoir qui soulèvera le trophée, le 7 juillet à Lyon, le succès est déjà ailleurs. Pour Seyni Ndir Seck et pour tant de mordues du ballon, ce tournoi est « une très grande victoire contre tous ceux qui disaient du mal du foot féminin ».
Et du mal, il en a été dit depuis la naissance de ce sport, il y a plus d’un siècle. « S’il y a des femmes qui veulent jouer au football ou boxer, libre à elles, pourvu que cela se passe sans spectateurs, car les spectateurs qui se groupent autour de telles compétitions n’y viennent point pour voir du sport », avait déclaré Pierre de Coubertin, le père de l’olympisme moderne, misogyne jusqu’à la moustache. « Le football, c’est un combat entre moi et les autres, il faut avoir la foi pour réussir », insiste Seyni Ndir Seck, qui est membre du comité exécutif de la fédération sénégalaise.
« On nous appelait les garçons manqués »
Comme beaucoup de jeunes filles dans son pays et ailleurs en Afrique, cette jeune quadra a commencé à taquiner le cuir dans les rues poussiéreuses de Dakar, dans son quartier de Yoff, avec les garçons de son âge. « J’étais la seule fille », se rappelle-t-elle avec nostalgie. A son époque, son entourage et ses détracteurs ne cessaient de lui répéter : « Tu perds ton temps à jouer au foot », « tu ne vas jamais réussir », « ce n’est pas pour toi ». Comment leur donner tort ? Dans les années 1980, quel avenir avait une femme dans cette discipline ? A quelle destinée glorieuse pouvait aspirer une joueuse ?
La FIFA n’avait pas encore organisé de Coupe du monde féminine (la première édition date de 1991, contre 1930 pour les hommes) ; les sélections féminines ne participaient pas encore à la Coupe d’Afrique des nations (le premier tournoi a eu lieu en 1991, contre 1957 pour les hommes) ; le Comité international olympique (CIO) n’ajoutera le foot féminin dans son programme qu’à partir des Jeux d’Atlanta, en 1996 (en 1896 pour les messieurs) ; sans compter qu’il y avait très peu de championnats nationaux… Le football a mis du temps à se conjuguer au féminin. « On nous appelait les garçons manqués », souffle Seyni Ndir Seck.
Ce genre de remarque était loin de déstabiliser Naïma Laouadi. Cette ancienne internationale algérienne de 43 ans a appris à jongler et dribbler à Tizi Ouzou, au milieu des hommes. « Ils venaient me chercher pour jouer », se rappelle celle qu’on surnomme « Maradona » à cause de sa ressemblance technique et physique avec l’icône d’Argentine. Mais la rue n’est pas un stade, le bitume n’a rien d’une pelouse…
Ado, Naïma Laouadi avait de l’ambition et voulait faire du foot son quotidien ; mais comment faire pour réaliser ce désir alors que le club de la ville, la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), n’avait pas d’équipe féminine ? Au milieu des années 1990, elle réussit à convaincre les dirigeants d’en créer une. Dans la foulée, elle rencontre le ministre des sports de l’époque, Mouldi Aïssaoui, pour le sensibiliser. « Et pourquoi ne pas lancer une sélection nationale ?, lui dit-il. Les parents laisseront leurs filles jouer parce qu’elles porteront les couleurs nationales. »
Naïma Laouadi deviendra la première capitaine des Fennecs. Mais impossible de gagner sa vie ; elle part en Europe, galère entre l’Allemagne et la France, n’a pas encore de papiers, travaille chez McDonald’s avant de signer au Celtic Marseille, en 2004. « Mais j’étais obligée de travailler à côté comme caissière à Lidl, souligne-t-elle avec fierté. Il faut être vraiment courageuse et avoir un mental d’acier pour pratiquer notre sport. »
« Je leur interdis d’avoir les cheveux courts »
Cette force, elle la communique à ses « filles » : aujourd’hui, Naïma est la sélectionneuse de l’équipe nationale féminine d’Algérie et s’est donné comme « objectif de casser l’image de garçons manqués ». « Je construis une équipe qui assume sa féminité. Je veux qu’elles soient belles, instruites, et je leur interdis d’avoir les cheveux courts », dit-elle dans un grand sourire. Certaines de ses joueuses ont les capacités de jouer en Europe, pense-t-elle. Mais le niveau reste encore très amateur, comme dans la plupart des nations du continent.
Selon Seyni Ndir Seck et Naïma Laouadi, l’Afrique francophone est à la traîne par rapport aux territoires anglophones. « D’ailleurs, si les filles veulent gagner de l’argent, c’est dans des pays comme le Nigeria et l’Afrique du Sud qu’elles vont », rappelle Dorette Elangue Etémé, ancienne défenseuse du Paris Saint-Germain et de l’équipe nationale du Cameroun. Aujourd’hui, elle entraîne l’équipe féminine de Poissy (Yvelines) avec ferveur et rigueur. « Partout dans le monde, le foot féminin est en train de trouver sa place. On commence à être respectées, se félicite la quadra. Je me souviens qu’au Cameroun, il y avait peu d’intérêt pour nous. Maintenant, les stades sont pleins. »
Depuis plusieurs années, la FIFA a lancé des programmes pour développer le football féminin en Afrique (et sur les autres continents). Contre plusieurs centaines de milliers de dollars, les fédérations nationales s’engagent à ne pas empêcher une « jeune fille ou jeune femme » de pratiquer ce sport ; à impliquer dans leurs structures davantage d’anciennes joueuses ; à multiplier les entraîneures pour les équipes de haut niveau ; à créer des championnats et organiser des coupes… « Cela va prendre du temps pour arriver à massifier, mais nous n’avons rien à envier au foot masculin, si ce n’est les salaires astronomiques, rigole Seyni Ndir Seck. Le football féminin africain a de très beaux jours devant lui. »
Depuis 2002, le Sénégal a sa sélection nationale, un championnat, deux divisions… Et depuis quelques mois, la Mauritanie possède aussi son équipe d’internationales. Deux matchs au compteur, perdus contre des formations… masculines. « Pour l’instant, nous ne nous sommes pas engagés sur un plan sportif, explique Abdoulaye Diallo, le sélectionneur. Notre ambition est de montrer le talent de la femme mauritanienne et de faire connaître nos joueuses au public pour commencer à gagner son cœur. » Mais son « premier job », comme il dit, c’est de convaincre les parents de laisser les filles taper la balle, car « c’est encore mal perçu de les voir en short », se désole-t-il.
Les traditions, le poids de la religion et les remarques machistes pèsent encore beaucoup. Mais Abdoulaye Diallo compte sur la Coupe du monde pour convaincre les plus sceptiques et « inciter encore plus de filles à jouer au foot ».
Coupe du monde féminine 2019 : comment les femmes ont gagné leur place dans le foot
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