Bac philo 2019 : « Les commentaires de textes n’étaient pas faciles »
Bac philo 2019 : « Les commentaires de textes n’étaient pas faciles »
Thomas Schauder, professeur de philosophie, a répondu à vos questions dans un tchat animé par « Le Monde » sur les sujets 2019 de philosophie du bac.
Alain Le Bot / Photononstop
L’art, le temps, le travail… des sujets de dissertation « classiques » pour les élèves de terminale des séries générales. Ils planchaient, lundi 17 juin, sur l’épreuve de philosophie, en ce premier jour du bac.
Lors d’un tchat, Thomas Schauder, professeur de philosophie à Troyes, a répondu aux questions des internautes.
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Que pensez-vous des sujets de cette édition 2019 des épreuves de philosophie du baccalauréat ?
Très classiques cette année, rien de vraiment surprenant au niveau des dissertations. Du côté des textes des séries générales (Freud, Leibniz, Hegel), aucun n’apparaît comme particulièrement facile. Ils étaient même plutôt difficiles.
Un conseil pour les futurs candidats : ne partez pas en vous disant que de toute façon vous prendrez l’explication de texte. Cette année prouve que ce n’est en aucun cas un sujet refuge…
Quels sont les pièges qu’il fallait éviter dans cette édition 2019 ?
Il ne fallait pas se précipiter, mais bien analyser les questions ou le texte. En philosophie, le seul véritable « piège », c’est l’inattention. La patience est de rigueur. Il faut bien décortiquer les sujets.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la vraie difficulté peut résider dans les termes tout simples, pas du tout techniques : « échapper », « diviser », « renoncer ». Le risque, si on passe trop rapidement, est de les ramener à d’autres termes et de partir en hors sujet. Ainsi, en L : « Est-il possible d’échapper au temps ? » n’est pas la même chose que « Qu’est-ce que le temps ? » ou « Maîtrise-t-on le temps ? » ; « A quoi bon expliquer une œuvre d’art ? » n’est pas « Peut-on expliquer » ou « Doit-on expliquer », etc.
Parent : Comment est calculée la note ? Sur quoi le correcteur va-t-il se baser ?
Demain, les correcteurs vont se réunir autour de « copies tests » et vont décider collégialement des attendus principaux (de quoi avoir la moyenne) ainsi que des bonus et malus. On se base donc sur « l’élève moyen » qu’on a eu pendant l’année (selon les filières, on n’attend pas la même chose de cet élève moyen ; en L, on en attend plus qu’en S ou en techno). Après, le correcteur se base sur la qualité de l’interrogation, de l’argumentation et de la rédaction. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, l’évaluation en philosophie n’est pas particulièrement subjective.
Le sujet 1 de la série S (« La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? ») peut-il faire polémique ? La correction ne risque t-elle pas d’être orientée vers les opinions politiques du correcteur ?
A mon humble avis, polémiquer à ce sujet serait stupide et stérile. Ce n’est qu’une dissertation pour le bac, pas un objet de débat à l’élection présidentielle. Ensuite, c’est une question hyperclassique : les Grecs et les Barbares dans l’Antiquité, les « bons sauvages » du XVIIIe siècle, les Essais de Montaigne, les Lettres persanes de Montesquieu, les travaux de l’ethnologie… Enfin, on peut disserter sur la torture et même prendre l’exemple de l’Algérie, par exemple pour savoir si la fin justifie les moyens ou s’il y a une raison d’Etat. Aucune question ne devrait a priori être taboue.
Ensuite, le correcteur est capable de mettre de côté ses opinions. De toute façon, ce qui compte ce n’est pas la réponse, mais la qualité de l’argumentation. Le préjugé selon lequel la philosophie serait notée entièrement subjectivement a la vie dure, mais est faux.
Toinou : La mobilisation des « gilets jaunes » peut-elle s’inviter dans les épreuves du baccalauréat, notamment avec le sujet : « Les lois peuvent-elles faire le bonheur ? » Est-il permis aux élèves de traiter le sujet par le prisme des questions qui traversent notre société ?
On peut se servir de l’actualité à titre d’exemple. Mais il faut garder en tête qu’un exemple n’a pas valeur d’argument et qu’il faut prendre des pincettes et éviter de prendre parti. Dans tous les cas, il faut être capable d’adopter différents points de vue et de ne pas rester focalisé. Des exemples historiques seraient bienvenus également.
Les sujets ne sont pas choisis en fonction de l’actualité, puisqu’ils ont été pensés il y a des mois. Par contre, on ne peut s’empêcher de les lire (parfois) en ayant en tête l’actualité. Attention à ce que cela ne fausse pas notre analyse.
Comment auriez-vous abordé les deux sujets de dissertation de ES : « La morale est-elle la meilleure des politiques ? » et « Le travail divise-t-il les hommes ? » ?
Le sujet sur la morale et la politique peut partir de la confrontation entre une vision « moralisatrice » de la politique (la politique ne peut faire l’économie du problème du bien et du mal) et une vision « pragmatique » (la politique ne s’occupe pas de morale, mais de gestion, de gouvernance). Puis on peut dépasser cet affrontement, d’un côté en montrant que la morale ne préexiste pas aux lois (Hobbes), ou s’interroger sur les critères permettant de hiérarchiser les modes d’action ou les finalités du politique (« la meilleure »).
Pour le sujet 2, il peut être intéressant de remarquer le « jeu de mots » avec la « division du travail », thème bien connu (on espère) des élèves de ES. D’un côté, le travail n’est-il pas ce qui permet aux hommes de se rapprocher, de former des collectifs ? Mais d’un autre côté, n’y a-t-il pas des rapports de hiérarchie ou de concurrence, soit sur le lieu de travail, soit sur le marché de l’emploi ?
Comment auriez-vous abordé l’explication du texte de Leibniz (bac ES) ?
Tout simplement à partir de la question des limites de la liberté. Au fond, que dit Leibniz ? Il répond à Descartes (cf. le titre de l’extrait), lequel disait que notre liberté est infinie mais notre entendement fini. Or, pour Leibniz, nous ne sommes pas entièrement libres : nous ne sommes pas libres de notre perception, de notre entendement, de nos souvenirs, de ce que nous aimons. D’où la question : quelle est notre « marge de manœuvre » dans l’existence ?
Je ne sais pas quelle était la bonne problématique, mais le texte pouvait être interrogé sous l’angle des limites de notre libre arbitre. Le texte est une réponse à Descartes, donc une discussion entre la conception de la liberté chez Descartes et les réserves que lui apporte Leibniz pouvait être une bonne approche, mais pas nécessairement la seule.
Aurélien : J’ai peur de perdre des points à cause de l’orthographe… Au maximum, on peut perdre combien de points ?
Il n’y a pas de barème. L’orthographe est importante pour deux choses : d’abord pour ne pas énerver le correcteur. Une copie truffée de fautes, ça agace. Ensuite, il a parfois une influence sur la syntaxe, c’est-à-dire qu’il peut changer le sens d’une phrase. Les petites coquilles n’ont pas beaucoup d’importance. Quant aux contresens, si vous avez bien réfléchi en amont et structuré votre explication au brouillon, il ne devrait pas y avoir de problème.
Zappathoustra : Il y a quelque chose d’affligeant dans ce rituel dont la France a le secret (le baccalauréat). Outre le fait que la philo est la plus sélective de toutes en termes de capital culturel, qu’elle participe de tout une distinction sociale, elle y est instrumentalisée comme pur vecteur spéculatif – aucun philosophe n’a jamais posé de telles questions aussi vastes qu’évasives – hors de tout « problème » et concept et de toute histoire de la pensée et de ses auteurs : pur éther.
C’est une éternelle question, je n’ai pas la prétention d’y répondre en trois lignes. Comment évalue-t-on ? Doit-on évaluer ? Faut-il ouvrir grand toutes les portes ou sélectionner les meilleurs ? Le débat dure depuis Condorcet et Lepeletier de Saint-Fargeau. Quant à l’exercice de la dissertation en philosophie, il a ses inconvénients mais il n’est pas non plus complètement absurde.
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Tchat « philo », avec Thomas Schauder, lundi 17 juin à partir de 9 h 15.
Tchat « français », lundi 17 juin à partir de 17 heures.
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