L’avis du « Monde » – A voir

Il est assez rare qu’un film d’animation brosse le portrait d’un cinéaste au travail. Buñuel après l’âge d’or, de Salvador Simo, vaut surtout pour le récit, original et passionnant, du tournage de Terre sans pain, en 1932, par Luis Buñuel, un documentaire de vingt-sept minutes qui montre la misère dans le territoire des Hurdes, une région de l’Estrémadure, en Espagne. Buñuel (1900-1983) était alors ruiné après le scandale de L’Age d’or (1930), brûlot surréaliste contre l’ordre bourgeois, son premier long-métrage après le court Un chien andalou (1929).

Buñuel après L’Age d’or est d’abord une aventure de production. Manuel Cristobal, le producteur espagnol qui a remporté quatre Goya du film d’animation depuis 2001, a lancé le projet de Buñuel après L’Age l’or après avoir acheté les droits du roman graphique Buñuel dans le labyrinthe des tortues, de Fermin Solis (Rackham, 2011). Il a confié la réalisation du film à Salvador Simo, lequel a travaillé chez Disney, notamment sur les effets spéciaux de Pirates des Caraïbes. La vengeance de Salazar (2017). Buñuel après L’Age d’or vient tout juste d’être primé (mention du jury) au Festival international du film d’animation d’Annecy (10-15 juin).

Le film de Salvador Simo est autant un carnet de bord du tournage qu’un portrait de Luis Buñuel, alors que le jeune maître du surréalisme cherche son langage. Pour la première fois, Buñuel investit le champ du documentaire social, pour montrer les conditions de vie misérables dans les Hurdes, sur la base d’une étude anthropologique de Maurice Legendre (publiée en 1927). Le tournage fut financé grâce à un ami peintre et sculpteur de Buñuel, l’artiste et militant anarcho-syndicaliste Ramon Acin, qui venait de gagner à la loterie…

Le film incrusté dans le dessin animé

Comment une personnalité aussi provocante et facétieuse que Buñuel pouvait-elle se contenter du réel pour fabriquer une œuvre ? C’était tout simplement impossible. Le film raconte comment l’auteur de L’Age d’or a mis en scène sans complexe le vécu des paysans, leurs conditions de vie ou certaines de leurs coutumes qui pouvaient paraître barbares : ainsi, il n’a pas hésité pas à payer un habitant pour qu’il arrache la tête d’un poulet. La beauté âpre de Terre sans pain est habitée par le surréalisme, avec les images de l’âne tué pendant le tournage et dévoré par les abeilles, du cercueil de l’enfant mort flottant sur la rivière…

Les relations ne furent pas toujours simples avec les trois amis qui l’accompagnèrent dans ce périple, Ramon Acin, mais aussi le poète Pierre Unik et le photographe Eli Lotar, lequel tenait la caméra. Buñuel ne cherchait pas tant à verser dans le sensationnalisme qu’à marquer les esprits, politiquement : il espérait que son film allait permettre d’aider les habitants des Hurdes. Le film le montre de plus en plus touché par la misère au fil du tournage.

Sur la forme, Buñuel après L’Age d’or reste classique, privilégiant l’approche pédagogique, alternant le dessin et des extraits (en noir et blanc forcément) de Terre sans pain : c’est comme si le film de Buñuel venait par moments s’incruster dans le dessin animé. Une fois terminé, après le montage qui eut lieu à Madrid, en 1933, le film sera bloqué par la censure. Alors que le 18 juillet 1936 éclate la guerre civile en Espagne, Ramon Acin est exécuté le 6 août par l’armée franquiste. Fin 1936, Terre sans pain sortit en salle mais Buñuel fut contraint de retirer le nom de Ramon Acin du générique. Le cinéaste devra attendre la ressortie de son film, dans les années 1960, pour rétablir le nom de son ami.

BUÑUEL APRÈS L'ÂGE D'OR Bande Annonce (2019) Animation
Durée : 02:07

Film d’animation espagnol de Salvador Simo (1 h 20). www.facebook.com/eurozoom.distributeur