Mahmoud Abbas rejette tout plan économique américain sans solution politique
Mahmoud Abbas rejette tout plan économique américain sans solution politique
Propos recueillis par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Avant la conférence de Bahreïn, le dirigeant palestinien compte sur le soutien des nations arabes.
Des affiches de Mahmoud Abbas, le 12 juin à Ramallah / MOHAMAD TOROKMAN / REUTERS
Psalmodie désespérée ou boussole ? Mahmoud Abbas a évoqué le droit international à de multiples reprises, dimanche 23 juin, au cours d’un exercice inhabituel pour lui : une rencontre avec la presse étrangère. A deux jours de l’« atelier de travail » prévu à Bahreïn à l’initiative américaine, le président palestinien a voulu réitérer son opposition à toute initiative qui viserait à dévitaliser la cause palestinienne. « Nous ne pouvons accepter la transformation de la question politique en question économique », a expliqué le dirigeant, persuadé que la conférence, prévue sans les Israéliens et les Palestiniens, « ne sera pas un succès ».
Mahmoud Abbas ne s’est pas appesanti sur le volet économique du plan américain, publié la veille, qui promet 50 milliards de dollars (44 milliards d’euros) d’investissements sur dix ans aux Palestiniens et aux pays de la région. Une somme représentant des projets virtuels, au fil d’une sorte de « business plan » omettant l’histoire et la géographie, et ne citant jamais l’occupation israélienne. « Nous ne serons ni les esclaves ni les serviteurs » des conseillers de Donald Trump, jugés pro-israéliens, a résumé le raïs. Il a aussi noté, à titre d’exemple, que le raccordement terrestre promis entre la Cisjordanie et la bande de Gaza était un projet datant des accords d’Oslo (1993), qu’Israël n’avait pas appliqué par la suite. « Les Etats-Unis réinventent la roue », a-t-il glissé.
Côté israélien, on laisse le vieux dirigeant, âgé de 83 ans, porter seul la responsabilité de l’échec prévisible de l’initiative américaine. « Je ne comprends pas comment les Palestiniens, avant même d’avoir entendu le plan, ont pu le rejeter d’un bloc, a dit Benyamin Nétanyahou dimanche. Ce n’est pas la bonne façon d’agir. » Le premier ministre israélien s’exprimait lors d’une visite dans la vallée du Jourdain, en compagnie du conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton.
Ne pas apparaître comme un opposant sans nuance
En réalité, Mahmoud Abbas a été plutôt mesuré dans ses critiques contre Washington, afin de ne pas apparaître comme un opposant sans nuance. Il n’a pas dit, cette fois, que les Etats-Unis étaient disqualifiés comme médiateur, mais qu’ils ne pouvaient plus l’être de façon exclusive. M. Abbas est revenu longuement sur ses multiples contacts avec Donald Trump, jusqu’à la rupture des relations politiques en janvier 2018. Après avoir confié en privé son soutien à une « solution à deux Etats », Donald Trump aurait pris un chemin inverse, explique M. Abbas, en suggérant un président américain sous l’influence de ses conseillers : son représentant spécial pour les négociations internationales, Jason Greenblatt, son gendre Jared Kushner et son ambassadeur en Israël, David Friedman.
La reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale et la fin de la contribution américaine à l’UNRWA, la mission de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens, ont rendu inutile toute discussion sur un « accord du siècle », explique Mahmoud Abbas. « Nous leur avons dit : nous sommes prêts à parler avec vous si vous revenez en arrière, si vous dites que vous êtes pour la “solution à deux Etats” et le droit international », a-t-il expliqué. En revanche, a tenu à préciser le président palestinien, la coopération sécuritaire se poursuit « avec les Américains, la CIA [l’Agence centrale de renseignement]. Nous n’avons pas honte de le dire, sa vocation est de combattre le terrorisme dans le monde ».
Lent sabordage de l’Autorité palestinienne
Concernant la conférence de Bahreïn, Mahmoud Abbas a été rassuré par les positions des pays arabes. « Nous avons entendu de tous les Etats arabes qu’il n’y aurait pas de normalisation [avec Israël] avant une solution politique », a noté le dirigeant palestinien. Mais au-delà de cette victoire ponctuelle, le ciel est bas au-dessus de Ramallah.
La situation financière de l’Autorité palestinienne est alarmante. Elle a choisi de se saborder lentement en refusant de recevoir le produit des taxes qu’Israël touche en son nom. L’Autorité palestinienne n’accepte pas que l’Etat hébreu ait décidé de retenir, sur cette somme, le montant des aides accordées aux prisonniers et aux « martyrs » palestiniens, conformément à une loi votée à la Knesset. « Soit on touche la totalité, soit rien », tranche M. Abbas. Le blocage est complet, et les salaires des fonctionnaires ont été réduits de moitié à compter d’avril. Le déficit file, et l’inquiétude monte au sein de la population. « L’argent est important, l’économie est importante, mais la politique est plus importante », a résumé le raïs à propos de l’initiative américaine. Un principe qui s’applique aussi à la subsistance de l’Autorité palestinienne.