Fresque historique, polars et super-héros : les films à ne pas rater cette semaine
Fresque historique, polars et super-héros : les films à ne pas rater cette semaine
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LA LISTE DE LA MATINALE
Les acteurs Alfredo Castro et Dario Grandinetti, dans « Rojo », de Benjamin Naishtat. / CONDOR FILMS
A voir cette semaine au cinéma, une poignante tragédie familiale sur fond d’histoire chinoise, un polar en Argentine à la veille du coup d’Etat de 1973, un super-héros dans la toile des « fake news », une rétrospective des six premiers films (restaurés) de Jim Jarmusch.
« So Long, My Son » : la doucereuse barbarie du totalitarisme
SO LONG MY SON Bande Annonce (2019) Drame
Durée : 02:03
C’est à la fin des années 1990 que l’Occident fit connaissance avec la sixième génération des réalisateurs chinois. Un cinéma tour à tour électrique et indolent, poétique et politique, au nihilisme insolent, en rupture avec les grands maîtres de la génération précédente, Zhang Yimou en tête.
Aux côtés du sidérant Xiao Wu artisan pickpocket (1997), de Jia Zhang-ke, on découvrait notamment en So Close to Paradise (1999), de Wang Xiaoshuai, un très séduisant polar sur les illusions de réussite de deux jeunes provinciaux « montés » en ville et devenus hors-la-loi.
En vérité, Wang Xiaoshuai s’éloignera vite de ces prémices, pour signer des films certes non dénués de courage politique mais de facture plus classique, et pour finir par se spécialiser dans le mélodrame historique et social. Le fossé entre les générations, la mort ou la maladie d’un enfant deviennent ainsi des motifs récurrents de son œuvre, notamment dans Drifters (2003), Shanghai Dreams (2006), Une famille chinoise (2008) ou Chongqing Blues (2010).
Il ne fait guère de doute que le réalisateur atteint aujourd’hui avec So Long, My Son, variation sur le même thème, son point d’orgue cinématographique. Vaste fresque menée sur un demi-siècle d’histoire, en gros de la Révolution culturelle à nos jours, le film met en scène, avec la mort brutale d’un enfant en lever de rideau, une poignante tragédie familiale, et y entremêle enjeux intimes et politiques, action principale et secondaire, passé et présent, avec un brio certain. C’est cette capacité à nouer les fils d’un récit sur une large trame, permettant de prendre en compte la complexité des événements et la profondeur des destins, qui fait la grande vertu de cette œuvre. Jacques Mandelbaum.
« So Long, My Son », film chinois de Wang Xiaoshuai. Avec Wang Jing-chun, Yong Mei, Qi Xi, Wang Yuan (3 h 05).
« Rojo » : prélude pour un massacre
'Rojo' - first trailer for Benjamin Naishtat's Toronto world premiere (exclusive)
Durée : 01:53
Les deux premières séquences de Rojo promettent un film hors du commun. Mais malgré l’acuité intellectuelle et esthétique du jeune réalisateur argentin Benjamin Naishtat, le reste de son troisième long-métrage ne retrouve pas la force et la cruauté de ces premiers moments, qui sont à la fois le prologue d’une tragédie intime et les prolégomènes de l’analyse d’une catastrophe – le basculement de l’Argentine dans le totalitarisme, en 1976.
Toutefois, il ne faut pas non plus exagérer le hiatus entre ce début magistral et le reste de Rojo : cette œuvre trouvera de toute façon une place éminente dans la somme historique qu’ont constituée les jeunes cinéastes argentins, nés pour la plupart sous ou après (c’est le cas de Naisthat, né en 1986) la dictature militaire.
Rojo commence par le pillage d’un domicile abandonné, à l’extérieur de Buenos Aires, en 1975. Au moment où la présidente élue, Isabel Peron, voit son autorité vaciller à force de compromis avec les militaires. Sans transition, la séquence suivante s’installe dans un restaurant bourgeois. Un homme à l’air affable (il est avocat) attend son épouse. Un autre client (Diego Cremonesi) apostrophe le garçon en dénonçant ce client qui occupe une table sans consommer alors que lui a faim. L’avocat lui cède sa place et entame une tirade qui retourne la salle contre l’intrus jusqu’à ce que celui-ci soit expulsé du restaurant.
A l’aube, Claudio (Dario Grandinetti) aura ourdi la disparition de l’importun. Disparition qui présage celles de milliers d’Argentins, enlevés, détenus et torturés dans des prisons clandestines avant d’être assassinés. Un détective privé chilien (Alfredo Castro), venu enquêter sur le sort du mystérieux dîneur, fera semblant de jouer les Hercule Poirot. Malgré son comportement d’histrion, il est avant tout le messager d’une autre tragédie – le coup d’Etat de 1973 – dont il porte la contagion. Thomas Sotinel
« Rojo », film argentin de Benjamin Naishtat, avec Dario Grandinetti, Andrea Frigerio, Alfredo Castro (1 h 49).
« Spider-Man : Far from Home » : dans la toile des « fake news »
SPIDER-MAN: FAR FROM HOME - Official Trailer
Durée : 02:59
Comment peut-on être aussi peu sûr de soi lorsqu’on s’appelle Spider-Man ? Peter Parker n’en finit pas de tergiverser et de mesurer le gouffre qui le sépare, selon lui, d’un super-héros.
Bien accueillis par la critique, les blockbusters de l’homme-araignée oscillent désormais entre le comic book et le teen movie. « It’s all about a girl », tout cela c’est à cause d’une fille, finit invariablement par lâcher Peter Parker, tiraillé entre son désir pour MJ, alias Mary Jane, et son devoir de sauver la planète.
Après Sam Raimi, qui a signé trois volets (2002, 2004 et 2007), Jon Watts a repris le costume sans vraiment le retailler, conservant l’esprit potache et lycéen qui a fait recette et procure une respiration bienvenue, entre deux effets spéciaux : son Spider-Man : Far from Home (2019) comme le précédent Spider-Man : Homecoming (2017) font appel au jeune Tom Holland, lequel avait déjà expérimenté le rôle-titre dans Captain America : Civil War (2016), et plus récemment dans Avengers : Infinity War (2018).
Dans Spider-Man : Far from Home, Peter Parker est toujours aussi préoccupé par sa double identité. A la veille de son départ en voyage scolaire en Europe, le garçon est bien décidé à ne pas glisser son costume rouge et bleu dans sa valise. Mais, à peine arrivé à la première étape de son périple, il doit enfiler fissa sa combinaison de combat, alors qu’une phénoménale et démoniaque créature sème la panique au milieu des touristes.
Le film entrecroise les gags de lycéens et les combats effroyables contre le monstre de feu. Si la part de comédie de Spider-Man : Far from Home est plutôt réussie, le volet super-héros est rendu confus par l’irruption de cette menace étrangère dont les contours nous sont résumés en quelques phrases expéditives. Clarisse Fabre
« Spider-Man : Far from Home », film américain de Jon Watts. Avec Tom Holland, Jake Gyllenhaal, Zendaya (2 h 10).
Jim Jarmusch, une errance américaine
Permanent Vacation - trailer
Durée : 02:05
Découvrir le film de fin d’études de Jim Jarmusch, Permanent Vacation (1980), c’est un peu entrer dans le laboratoire du réalisateur américain, dandy parmi les rebelles du cinéma indépendant, tant ce prototype lumineux contenait déjà tout l’imaginaire qu’il allait déployer par la suite : le balayage de l’Amérique du côté des bas-fonds, l’errance post-punk érigée en principe de narration, et une bande-son tenant lieu de langage – ses œuvres sont peuplées de ses amis musiciens, compositeurs (John Lurie, Tom Waits, Joe Strummer, Screamin’ Jay Hawkins…), portant la musique à l’écran comme jamais auparavant.
La rétrospective des six premiers films (restaurés) de Jarmusch, à redécouvrir en salle à partir du 3 juillet, à l’initiative des distributeurs Les Acacias et Le Pacte, révèle la cohérence de cette filmographie naissante : le cinéaste est l’auteur de treize « longs » dont le dernier, The Dead Don’t Die, était en compétition à Cannes.
Né en 1953 dans l’Ohio, Jarmusch a grandi avec une mère critique de cinéma et un père dans les affaires, d’origine tchèque et allemande. Marqué par les films de Nicholas Ray (La Fureur de vivre, 1955), il filme des perdants dont la dérive est la charpente même du scénario.
Que le héros jarmuschien aille à pied (Permanent Vacation, 1980), en voiture, en avion (Stranger than Paradise, 1982), qu’il soit en prison (Down by Law, 1986), qu’il monte dans un train (Mystery Train, 1989, Dead Man, 1995) ou un taxi (Night on Earth, 1989), il est un passager en partance, en exil, un être entre deux portes, deux Amérique, deux mondes (Est, Ouest avant la chute du Mur). Cl. F.
Rétrospective des six premiers films restaurés de Jim Jarmusch, vingt-cinq copies en salles (Les Acacias et Le Pacte).