Des Algériens achètent des journaux, mardi 12 mars. / RYAD KRAMDI / AFP

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, cible d’un mouvement de contestation inédit en vingt ans de pouvoir, a renoncé lundi 11 mars, dans la soirée, à briguer un cinquième mandat et reporté sine die la présidentielle du 18 avril, tout en restant au pouvoir et en prolongeant de fait son actuel mandat. L’annonce a été saluée par un concert ininterrompu de klaxons dans le centre d’Alger, et par les « unes » des médias algériens.

Certains sont élogieux après l’annonce du président. Pour le quotidien du régime El Moudjahid, « il s’agit d’une réponse franche et sans aucune ambiguïté aux revendications des récentes manifestations populaires (…). Le Chef de l’Etat (…) a exposé un plan de travail précis (…), a su placer l’intérêt suprême du pays au-dessus de tout ».

Le journal Reporters écrit que « la décision du chef de l’Etat (…) représente (…) un geste d’ouverture républicaine en direction de l’opinion publique ». Il y voit un avertissement sans frais pour l’opposition : « C’est aussi un message de recadrage à toutes les parties d’opposition qui ont appelé [à manifester] depuis le début de la contestation. (…) La transition est une affaire trop sérieuse pour qu’elle soit lancée dans la précipitation. »

« Bouteflika reste maître des horloges »

Pourtant, une grande partie de la presse algérienne ne s’y trompe pas. « Il a annulé la présidentielle et reste au pouvoir : la dernière ruse de Bouteflika », titre El Watan. « Cédant aux pressions populaires (…), le chef de l’Etat a décidé de reporter l’élection présidentielle. (…) Ainsi, Abdelaziz Bouteflika décide de rester au pouvoir en prolongeant son mandat présidentiel (…). » Le quotidien dénonce ce qu’il voit comme « une violation de la Constitution, à laquelle la décision du chef de l’Etat ne fait aucune référence ».

Pour Liberté Algérie, avec cette annonce, « Bouteflika prolonge son mandat ». Le quotidien s’interroge : « Les délais ne sont pas connus. Il reste maître des horloges ! (…) Les annonces du chef de l’Etat ont suscité des concerts de klaxons dans les rues. Des partis ont déjà appelé à manifester de nouveau vendredi prochain. Jusqu’au départ de Bouteflika. »

Dans son éditorial, le quotidien évoque une « grande supercherie » : « Nous l’avons craint, maintenant, nous le notons avec amertume : le président Abdelaziz Bouteflika tente une nouvelle ruse avec le peuple. » Le journal devine « une grossière manœuvre, à travers laquelle [Bouteflika] espère se maintenir au pouvoir sans avoir à passer par l’épreuve des urnes. (…) Au plan de la légalité, la décision de Bouteflika est une violation flagrante de la Constitution. De quel droit, en effet, reporte-t-il, tout chef de l’Etat qu’il est, une élection à laquelle sont inscrits d’autres candidats, qu’il ne consulte, au demeurant, pas ? ».

Le Soir d’Algérie écrit qu’« en procédant à ce report de l’élection présidentielle, (…) ce qui est une première depuis les fameuses législatives de juin 1991, Bouteflika aura ainsi, et comme prévu, abattu sa dernière carte pour ne jamais sortir par la petite porte. Il signifie, pour ainsi dire, que si changement devait avoir lieu, il ne serait jamais contre lui, mais par lui… »

« La Constitution actuelle se trouve abrogée »

Le site Tout sur l’Algérie (TSA) évoque une supercherie, et s’étonne :

« Tout ça pour ça ? Les Algériens sont-ils donc sortis par millions dans les rues pour permettre au pouvoir d’appliquer le plan qui était le sien dès les derniers mois de l’année 2018 ? Bouteflika renonce au cinquième mandat mais il restera au pouvoir au-delà du 18 avril, date de la fin de son mandat actuel. Quant au changement de système, le texte ne contient aucune proposition qui le garantit. Bien au contraire, c’est ce même système qui gérera la transition censée déboucher sur sa fin. »

Le site appelle « les Algériens [à] se montrer vigilants pour ne pas se faire confisquer leur belle et joyeuse révolution qui commence à émerveiller le monde ».

Dans son éditorial, L’Expression prend acte de la fin de la « 1re République » : « Inédit ! (…) C’est un chamboulement inédit du fonctionnement des institutions que vient de décider le président. A tel point que la Constitution actuelle se trouve abrogée de fait vu qu’elle ne prévoit ni annulation ni report de l’élection présidentielle. »

L’irrévérence des caricaturistes

L’irrévérence la plus marquée est à chercher du côté des caricaturistes. Dans une caricature pour Liberté Algérie, Alim Diem dessine un homme et une femme extatiques, sous le titre « Enfin, l’annonce que tout le monde attendait : Zidane est de retour au Réal ».

Dans un autre dessin publié sur Twitter, il résume la nouvelle équation. Sous le titre « Bouteflika renonce à un cinquième mandat de cinq ans », on voit le chef de l’Etat dire « à la place, je ferai un quatrième mandat de dix ans ».

Hichem Baba Ahmed, alias Le Hic, hésite à se réjouir de l’annonce du renoncement du président à briguer un nouveau mandat : « Ce n’est pas encore gagné, mais ça sent la fin », a-t-il écrit sur un dessin inspiré par les Merrie Melodies, série de dessins animés d’animation distribuée par Warner Bros entre 1931 et 1969.

L’Andalou, de son vrai nom Youcef Koudil, qui se présente comme « bédéiste, artiste illustrateur et dessinateur de presse sociopolitique maudit », se réjouit, mais évite de s’enflammer, sur Facebook :

« Première bataille gagnée ! Mais il ne faut pas qu’on s’emballe trop vite, Boutef n’est plus le problème aujourd’hui. Les batailles suivantes seront les plus importantes et les plus décisives car ces dinosaures sont comme les mycoses, ils ne lâcheront pas sans un traitement lourd ! Ce qu’ils oublient c’est que nous aussi on ne lâchera pas. Tout le système doit partir, et à la fin on doit organiser un procès comme celui de Nuremberg ! Continuons jusqu’au bout… »

Youcef Koudil a publié un dessin montrant les différents états de la décrépitude du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir sans interruption depuis le 27 avril 1999, mais qui semble encore en course pour un 20 years challenge.

De son côté, Saäd Benkhelif joue sur la typographie et imagine un président Bouteflika qui « #reporte/#remporte #l’élection #présidentielle en étirant son 4e mandat à l’infini ».

Son collègue Ghilas Ainouche a, pour sa part, publié une série de dessins consacrés à la ruse du pouvoir, estimant que la rue va s’adapter. « Bouteflika renonce à briguer un cinquième mandat mais reste président sans élection », relève-t-il. Mardi, il écrivait dans un dessin : les manifestants ne scandent plus « non au cinquième mandat » mais « non au prolongement du quatrième mandat ».