« Transatlantiques » : un siècle d’odyssées à bord de luxueux vaisseaux
« Transatlantiques » : un siècle d’odyssées à bord de luxueux vaisseaux
Par Alain Constant
Deux films retracent l’âge d’or des paquebots, toujours plus grands et plus luxueux.
Le paquebot France (1912-1934) à New York. / Archiv French Lines
La foule est immense. En ce 19 juillet 1843, ils sont environ 80 000 curieux à se masser dans le port de Bristol, dans le sud-ouest de l’Angleterre. La raison de cet engouement populaire ? La mise à l’eau du SS Great-Britain, le premier vrai géant des mers. Un colosse d’acier, qui abandonne les voiles pour la vapeur et s’est doté d’un puissant moteur de 500 chevaux. Avec sa coque en fer, sa grande hélice immergée, le Great-Britain s’apprête à effectuer la redoutée traversée de l’Atlantique nord, destination New York. A bord, on trouve également une immense cuisine, un salon somptueux, des cabines de luxe. Et pour satisfaire une clientèle fortunée désireuse de s’embarquer pour l’aventure, à la recherche du temps perdu, le paquebot moderne ne va cesser, pendant près d’un siècle, de proposer des conditions de voyage toujours plus confortables.
Pendant quatre siècles, l’unique moyen de transport entre l’Europe et les Amériques était le bateau. A voile, évidemment. Migrants de la vieille Europe chassés par les persécutions, en quête d’une vie meilleure de l’autre côté de l’Atlantique, les candidats à ce long et périlleux voyage ont toujours été nombreux. Pour les moins fortunés, ce périple s’effectuait dans des conditions éprouvantes, entassés par centaines dans l’entrepont sombre. Mais avec l’arrivée de la machine à vapeur et le développement de l’industrie navale, les liaisons transatlantiques changent du tout au tout. Les traversées sont moins dangereuses, plus confortables et beaucoup plus rapides. Il fallait environ deux mois pour rallier un port anglais, allemand ou français à New York à bord d’un bateau à voile, il faut désormais deux semaines. Quelques décennies plus tard, New York ne sera plus qu’à cinq jours et quelques heures, voire moins, du Vieux Continent.
Archives d’époque inédites
Découpé en deux parties de 52 minutes chacune (La Course des nations puis L’Age d’or des paquebots), cet épatant documentaire regorge d’archives filmées d’époque inédites. Qu’elles soient britanniques, allemandes, françaises ou américaines, ces images, datant parfois du début du XXe siècle, offrent un panorama complet de ce qui constitue une formidable aventure maritime. De Cherbourg à Hambourg, de Southampton à Brême, de Belfast à Saint-Nazaire, du Havre au port de Manhattan, entre chantiers gigantesques, progrès industriels et destins humains, on voyage à bord de paquebots mythiques.
On reçoit également une salutaire leçon d’histoire. Car, comme le rappellent les intervenants (historiens, conservateurs de musée), développer des géants des mers est, à la fin du XIXe siècle, un moyen d’imposer sa force, de marquer son territoire. La jeune Allemagne impériale ne s’en cache pas : « L’avenir de l’Allemagne est sur l’eau ! », déclare Guillaume II, qui adore la marine. Et pour faire de l’ombre à l’Angleterre, première puissance maritime mondiale, le Kaiser est prêt à tout. En 1897, le Kaiser-Wilhelm-der-Gross, un monstre de près de 200 mètres de long, avec ses quatre énormes cheminées, son puissant moteur et un luxe inédit à bord, rejoint New York en cinq jours et dix-sept heures. Quelques mois avant le déclenchement de la première guerre mondiale, la mise à l’eau de l’Imperator, avec, comme figure de proue, un immense aigle impérial tenant dans ses serres un globe terrestre, confirmera les agressives ambitions maritimes allemandes.
Les grandes compagnies maritimes, comme la Hapag (Hambourg), la Norddeutscher Lloyd (Brême) ou la White Star Line (américaine mais basée également à Belfast), se livrent une course au gigantisme sans merci. Côté français, la Compagnie générale transatlantique se distinguera, dans les années 1930, par une débauche de luxe à bord de ses paquebots. Symbole de cette « French Line » ? Le Normandie, qui, à partir de 1935, transportera ses passagers (dont un tiers voyage en première classe) dans des cabines Art déco.
De la tragédie du Titanic, en 1912, aux records de vitesse (salués par le fameux Ruban bleu) sans cesse battus par ces géants des mers, les anecdotes, images et témoignages ne manquent pas. Souvent affectés au transport des troupes ou transformés en hôpitaux flottants durant les guerres mondiales, les paquebots vont, après 1945, connaître leurs dernières années de gloire, avant que l’avion ne devienne une évidence pour traverser l’Atlantique. Mis à l’eau en 1960, le France, long de plus de 300 mètres, objet de prestige, est une aberration économique, et tout le monde le sait. Mais on ne badine pas avec l’orgueil national. Autre histoire de grandeur et décadence, celle du SS United-States, fierté américaine. Ce « paquebot parfait », qui a battu le record de vitesse de traversée de l’Atlantique en 1952, est mis à la retraite en 1969, faute de rentabilité. Aujourd’hui, il ressemble à un colosse d’acier endormi dans le port de Philadelphie.
Transatlantiques, de Mathias Haentjes (All., 2019, 2 x 52 min).