Editorial du « Monde ». Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres. Parce que notre santé et, parfois, notre vie dépendent de leur accessibilité, les laboratoires pharmaceutiques et les distributeurs ont une responsabilité particulière pour prévenir les ruptures d’approvisionnement dans les pharmacies et les hôpitaux.

Pourtant, les pénuries ne cessent d’augmenter, créant inconfort, angoisses, voire dégradation de l’état de santé pour certains patients contraints de se tourner vers des traitements alternatifs mal adaptés. Cette situation a poussé le gouvernement à présenter, lundi 8 juillet, des pistes d’amélioration, qui, même si la plupart vont dans le bon sens, laissent encore beaucoup de questions en suspens.

Il y a dix ans, les ruptures de stock concernaient à peine une cinquantaine de médicaments. Aujourd’hui le phénomène touche plus de 600 produits, qui vont des antibiotiques aux antalgiques en passant par les corticoïdes, les anesthésiques ou même les anticancéreux. Des centaines de milliers de patients en subissent les conséquences chaque jour.

Délocalisation massive

Les causes sont multifactorielles. Dysfonctionnements dans les chaînes de production, difficultés d’approvisionnement en matières premières ou normes trop rigides sont mis en avant par les laboratoires. Mais les pénuries sont aussi plus généralement le fruit de la façon dont s’est structurée cette industrie ces dernières années pour être toujours plus rentable. Selon le magazine financier Forbes, le secteur est le plus profitable de tous, loin devant la finance ou l’informatique.

Au début des années 1990, 80 % des matières actives à usage pharmaceutique destinées aux Européens étaient fabriquées dans l’UE. Aujourd’hui la proportion est exactement inverse au profit des pays à bas coûts, principalement situés en Asie. Cette délocalisation massive, couplée à une rationalisation à outrance des coûts de production, a durablement fragilisé les conditions d’approvisionnement.

Ensuite, sans crier gare, les laboratoires n’hésitent pas à abandonner la fabrication de certains médicaments, qui ne sont pas jugés assez rentables. Il est d’ailleurs frappant d’observer que les médicaments les plus profitables, eux, ne font jamais l’objet de pénuries. Enfin, même s’ils le contestent, les laboratoires sont accusés de favoriser les pays qui leur rapportent le plus, au détriment de ceux dont le système de santé les oblige à rogner leurs marges.

Le gouvernement propose de fluidifier l’information entre industriels et officines. L’amélioration de la transparence et la restauration de la confiance au sein de la chaîne d’approvisionnement constituent des préalables indispensables. Il est également nécessaire de renforcer la capacité de régulation de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ainsi que de penser le système à l’échelle européenne pour mieux peser dans le rapport de force avec les laboratoires.

Toutefois, les pistes évoquées par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, donnent le sentiment de s’attaquer plus aux conséquences du problème qu’à ses causes réelles. Il est certes question de favoriser la relocalisation de la production. Mais, après avoir laissé filer à l’étranger sa chimie fine, la France a fini par perdre une bonne partie de son savoir-faire. La reconquête s’annonce longue et difficile, tout comme l’indispensable rééquilibrage d’un système, dont la recherche de profitabilité ne doit pas se faire au détriment de l’intérêt général.