Au Ghana, Serge Attukwei Clottey transforme des bidons en œuvres d’art
Au Ghana, Serge Attukwei Clottey transforme des bidons en œuvres d’art
Par Marie de Vergès (Accra, envoyée spéciale)
Dans son atelier d’Accra, l’artiste de 34 ans compose d’étonnantes tapisseries de plastique à partir de jerrycans jaunes récupérés.
Une oeuvre de l’artiste ghanéen Serge Attukwei Clottey réalisée à partir de bidons de plastique découpés en petits carrés, à Accra, en juillet 2019. / Marie de Vergès
Accra, la capitale ghanéenne, offre tout un nuancier de jaunes. Le délavé et brumeux du soleil brûlant, le doré des plages bordant le golfe de Guinée et l’ocre des rues de terre où le pavement a disparu, une fois après avoir quitté les grands axes du centre-ville. Comme à Labadi, modeste quartier de pêcheurs où vit et crée Serge Attukwei Clottey. Pour cet artiste, le jaune est avant tout celui des bidons en plastique dont il a fait le matériau principal de ses œuvres, et de son inspiration.
Découpés en petits carrés « recousus » ensemble à l’aide de fils de cuivre, ces jerrycans forment d’immenses installations à l’esthétique troublante. Fin août, pour la troisième année consécutive, d’éclatantes tapisseries de plastique viendront recouvrir les ruelles poussiéreuses de Labadi et certaines façades du quartier, pour devenir ce que Serge Attukwei Clottey appelle « la route de brique jaune », en référence au roman Le Magicien d’Oz. Au-delà du choc visuel, le projet parle « du foyer, des migrations, du déplacement », indique l’artiste de 34 ans. Le chemin délimite un espace donné. Une façon d’interroger le statut précaire de nombreuses familles, dont les droits de propriété n’ont jamais été retranscrits dans un document officiel.
Serge Attukwei Clottey en sait quelque chose. Ses ancêtres – des commerçants – sont arrivés à Labadi il y a 200 ans depuis Jamestown, un autre village de pêcheurs devenu un quartier d’Accra. « Nous avons vite été perçus et traités comme des migrants et dépossédés d’une partie de notre propriété. La bataille se poursuit encore aujourd’hui devant les tribunaux », raconte-t-il. Le bidon est, selon lui, le support idéal pour évoquer au sens large la thématique complexe des migrations. « A l’origine, il servait à transporter de l’huile de cuisson de l’Europe vers l’Afrique. Cela montre qu’il est beaucoup plus simple de faire voyager un objet ou une matière première qu’un être humain », précise l’artiste.
L’art des « Kufuor gallons »
Le Ghanéen, dont la renommée est désormais bien établie à l’étranger, a commencé à travailler avec ces jerrycans il y a un peu plus de quinze ans. D’abord parce qu’ils étaient disponibles en très grande quantité. Au Ghana, chaque foyer possède dix, parfois vingt de ces récipients appelés « Kufuor gallons ». Un nom qui leur vient de John Agyekum Kufuor, président de 2001 à 2009, à une époque où le pays souffrait d’une grave sécheresse. Cette pénurie frappe toujours une grande majorité de la population ghanéenne qui, faute d’arrivée d’eau à la maison, doit aller chercher loin la précieuse ressource et la transporter dans de lourds bidons.
Puis ces contenants finissent par joncher par milliers les rues, les décharges, les rivières et les plages, dégradant le paysage et l’écosystème. « Les utiliser est un moyen d’alerter sur la rareté de l’eau et la fragilité de notre environnement, détaille Serge Attukwei Clottey. Puisque le plastique ne disparaît jamais, mon idée est de le récupérer pour faire passer un message et le transformer en un objet artistique de valeur. »
Le créateur a baptisé sa philosophie artistique d’« Afrogallonisme ». Un concept qui a d’abord déconcerté, voire franchement dérangé, les membres de sa communauté. « Ils ne comprenaient pas ma démarche car, pour eux, le gallon est d’abord un objet essentiel du quotidien. Mais c’est aussi pour cela qu’ils s’y sont finalement intéressés », relate ce fils d’un peintre.
Lui qui envisageait d’abord l’art comme un hobby en a fait sa vocation à temps plein, engageant pour l’assister une quinzaine de collaborateurs. Tous venus du quartier. Dans la cour de sa maison de Labadi, transformée en atelier, ils coupent, taillent, percent et assemblent. D’autres vont collecter les bidons pour les lui revendre. « Tout ça crée une chaîne de valeur et des emplois pour la communauté », s’enorgueillit-il. L’art comme performance, symbole et moyen de subsistance : voilà où doit conduire la « route de brique jaune » de Serge Attukwei Clottey.