« Haut perchés » : fausse pièce de théâtre dans une tour parisienne
« Haut perchés » : fausse pièce de théâtre dans une tour parisienne
Par Clarisse Fabre
Olivier Ducastel et Jacques Martineau mettent en scène un huis clos ludique et inquiétant dans lequel ils explorent les affres de relations perverses.
Le Paris pop et coloré d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau a souvent agi comme un philtre enchanteur, grâce auquel les histoires les plus dramatiques prennent de la hauteur et transitent, presque légères, jusqu’aux spectateurs telles des bulles de savon. De la comédie musicale Jeanne et le garçon formidable (1998), sur le bassin de la Villette, à la rencontre sous néon fluo de Théo et Hugo dans le même bateau (2016), non loin de Château-d’eau, les réalisateurs ont pris le parti de sublimer les mauvais signes qui assombrissent l’horizon du couple (la séropositivité et la menace du sida) : dans ces deux films, Paris reste la capitale de l’amour, envers et contre tout.
Ducastel et Martineau portent le « merveilleux » en bandoulière, comme un hommage à Jacques Demy dont Olivier Ducastel a été l’assistant-monteur. Le duo de réalisateurs a pu arpenter Rouen (Drôle de Félix, 2000) ou Marseille (Crustacés et coquillages, 2005) pour décorseter les comédies françaises, mais c’est encore la capitale qui hante leur dernier long-métrage, un film-protocole pourrait-on dire, tant les choix formels des cinéastes enserrent ce huis clos tourné avec cinq amis comédiens, qu’il faut tous citer : Manika Auxire, Geoffrey Couët, qui jouait Théo dans Théo et Hugo, François Nambot (qui incarnait Hugo), Simon Frenay et Lawrence Valin.
Cadavre exquis d’un invisible
Dans Haut perchés, Paris n’est plus qu’un totem : la ville est réduite à son plus simple symbole, soit la tour Eiffel scintillant au loin, depuis le balcon d’un appartement situé au vingt-huitième étage d’une tour. Ici, il n’est plus question de montrer l’amour mais de raconter ses affres. Dans le deux-pièces à la vue imprenable, décor unique du film, cinq trentenaires (une fille et quatre garçons) se sont donné rendez-vous un soir : ils ne se connaissent pas mais ont pour point commun d’avoir fréquenté le même individu et, surtout, d’avoir subi sa perversité. L’homme en question est justement enfermé dans la chambre, mais il n’en sortira jamais. Il n’existe que par les mots que « posent » sur lui Veronika, Marius, Louis, Nathan et Lawrence.
Chacun lui taille un costard mais c’est un impossible portrait-robot qui se dessine : ce « pervers » nous file entre les mains, il est visiblement un peu caméléon et adapte son comportement au gré de ses partenaires. Il ferait un formidable cadavre exquis chez les surréalistes. Tour à tour, chacun des protagonistes rend visite à ce garçon dans la pièce à côté tandis que les autres continuent d’exhumer leurs souvenirs. Ducastel et Martineau évitent le cliché de la soirée qui dégénère. « Ça ne va pas se terminer en partouze et on ne va pas se foutre sur la gueule », prévient l’un des personnages.
Ce garçon dans la pièce à côté
Haut perchés a été imaginé pour mettre en scène – tout en prenant du recul – un certain nombre d’expériences que Ducastel a lui-même vécues. Les deux réalisateurs tentent d’inventer une forme, avec les risques qu’un tel pari comporte : un film de langage où les protagonistes ont tout loisir d’exprimer leur ressenti ; une image colorisée à l’extrême qui sculpte les visages mais a tendance à lisser le jeu des comédiens ; une musique un brin anxiogène qui pousse le film vers la série B. La mise en scène tirée à quatre épingles installe une certaine routine, ou bien vise-t-elle à rendre les personnages irréels, comme réglés par une mécanique du rêve ?
Fausse pièce de théâtre, Haut perchés travaille le pastiche. Le film n’est pas sans rappeler l’art vidéo de Pierrick Sorin à la charnière des années 2000 : soit un univers ludique, peuplé de minuscules silhouettes que le magicien de l’image animait derrière ses plaques de verre. Dans le film bien perché de Ducastel et Martineau, il y a cet instant où les visages des cinq personnages, fatigués et anxieux, se reflètent dans la baie vitrée du balcon et semblent habiter le ciel tendre et pâle du petit matin. Même quand ça va mal, ciel !, que Paris est beau…
HAUT PERCHÉS - Bande Annonce
Durée : 01:31
Film français d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Avec Manika Auxire, Geoffrey Couët, Simon Frenay, François Nambot, Lawrence Valin (1 h 30).