A Calais, le gestionnaire du port « vit de plus en plus mal » les blocages par des migrants
A Calais, le gestionnaire du port « vit de plus en plus mal » les blocages par des migrants
Par Anne Guillard
Depuis trois semaines, la rocade portuaire se trouve bloquée par des obstacles déposés par des migrants dont l’objectif est de monter à bord de camions pour gagner la Grande-Bretagne.
C’est l’exaspération et la colère qui animent Jean-Marc Puissesseau, PDG de la Société d’exploitation des ports du détroit, créée en juillet 2015, qui gère les ports de Boulogne et Calais. Il vit « de plus en plus mal la situation » à laquelle quotidiennement les personnels du port de Calais doivent faire face sur la rocade portuaire, la N216.
Ce point de passage des camions et des véhicules qui embarquent pour l’Angleterre cristallise les crispations depuis trois semaines, après avoir connu une relative accalmie, crispations dont se fait l’écho la presse locale. Le campement des migrants est installé le long de ce « cordon ombilical », sécurisé depuis le printemps 2015 sur une portion par des grillages de 4 mètres de haut, régulièrement découpés.
Côté rocade, le long de la « Jungle », à Calais. | anneguillard
Sur la portion qui ne l’est pas, en amont de la zone d’activités Marcel-Doret, au niveau de l’embranchement de l’A16 et de l’A26, encore appelée « l’autoroute des Anglais », branchages, troncs d’arbre, pneus enflammés ou sacs poubelles sont déposés sur les voies pour tenter de stopper les camions en vue d’atteindre les côtes britanniques.
Stéphane Vancutsen, du collectif Agir ensemble pour sauver le port de Calais, y voit « l’adaptation des passeurs du camp ». « Il n’y a pas de patrouilles de CRS. Il suffit de stopper dix minutes le trafic pour faire monter une dizaine de migrants dans les camions. » Ce qui occasionne des retards sur le trafic des deux compagnies maritimes P&O Ferries et DFDS, qui assurent quelque quatre-vingts rotations entre Calais et Douvres quotidiennement.
« Ce qui est nouveau, c’est la méthode »
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Tous les matins, Jean-Marc Puissesseau reçoit par SMS la revue de détail de la veille, envoyée par les équipes de la coordination ou de l’astreinte du port, et parle d’« agressions quotidiennes ». On y lit : « Situation de la rocade portuaire du 4 avril à 18 heures au 5 avril à 6 heures : trafic rocade : 5 h 5, barrage de branches, arbustes, etc. Nettoyage par la DIR [direction interdépartementale des routes], dégradations 23 h 30 à 1 heure, réparations, à 5 heures, réparation, forces de l’ordre présentes. » « Tous les matins, je lis ça ! » s’emporte-t-il.
Si la sous-préfecture ne confirme pas une augmentation des intrusions dans le port de Calais, « ce qui est nouveau, c’est la méthode ». « Les actions se font par petits groupes mobiles ou alors par groupes plus importants, avec des modes opératoires qui évoluent beaucoup », « de plus en plus dangereux, avec des prises de risque inconscientes », a déclaré le sous-préfet de Calais dans un entretien à Nord littoral, le 12 avril. « Les migrants utilisent des troncs d’arbre pour stopper la circulation et forcer les camions à s’arrêter, et ça, c’est inquiétant. Les conséquences peuvent être extrêmement graves. » Le 31 mars, un migrant est mort après avoir été renversé par un camion.
Jean-Marc Puissesseau demande plus de protection et a remis, à cette fin, au début de décembre 2015, au ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, un plan de sécurisation supplémentaire de la rocade, évalué à 16 millions d’euros, qui prévoit entre autres d’étendre les grillages surmontés de barbelés à la zone Marcel-Doret.
Lors du dernier sommet franco-britannique à Amiens, le 3 mars, David Cameron a promis une enveloppe de 22 millions d’euros pour aider à gérer la crise des migrants à Calais. Lors de la visite, au début d’avril, du ministre de l’immigration britannique, James Brokenshire, venu rencontrer les agents de la Border Force, Jean-Marc Puissesseau a réitéré sa demande de financement nécessaire au supplément de sécurisation.
« On est inquiets »
« Chaque jour nous souffrons, on est inquiets, sur le qui-vive, car on ne peut pas être certains qu’il n’y aura pas de problème concernant l’accès au port », ce dernier étant totalement sécurisé. Le collectif Agir ensemble pour sauver le port de Calais a demandé à l’adjoint à la sécurité de la mairie (LR) de Calais, Philippe Mignonnet, que des CRS effectuent des patrouilles toute la nuit sur la rocade, déplorant « des forces mobiles » plutôt « immobiles ».
« Les migrants sont arrivés à Calais pour aller en Angleterre. Or, ils ne peuvent pas y aller. Tout le monde le sait. On les a maintenus sanitairement dans des conditions insalubres, en espérant qu’un jour ils puissent passer illégalement. Je dis stop ! », explique Jean-Marc Puissesseau. Selon lui, ils devraient être maintenant classés comme réfugiés, « car on ne peut plus accepter qu’ils posent problème au port ou à Eurotunnel ».
Le PDG assure que le port de Calais, qui génère dix mille emplois directs et indirects, « a perdu cent mille passagers depuis le 1er janvier » pour dix millions de passagers annuels, en partie en raison du blocage du port à l’été 2015 par un mouvement social, mais aussi à cause de l’effet migratoire. Il déplore une « image de marque catastrophique, alors qu’on fait tout pour être performants sur ce port ». Côté fret, le port n’a pas profité de l’augmentation du trafic actuelle, qui est de 6 % environ, « on perd des clients ».
La ligne de ferroutage Calais-Le Boulou, près de Perpignan,dont la mise en service était prévue fin janvier et avait dû être retardée pour ces mêmes raisons, a finalement débuté le 29 mars. | anneguillard
Jean-Marc Puissesseau rappelle que le chantier de Calais port 2015, projet phare pour la ville qui a pour ambition de doubler les capacités actuelles du port grâce à la réalisation d’un nouveau bassin vers la mer, et qui a débuté il y a un mois, doit également être sécurisé car des tentatives d’intrusion s’y déroulent aussi chaque jour.
La ligne de ferroutage Calais-Le Boulou, près de Perpignan, dont la mise en service était prévue à la fin de janvier et qui avait dû être retardée pour ces mêmes raisons, a finalement débuté le 29 mars, faisant du port de Calais le premier port européen à proposer un service d’autoroute ferroviaire.
Une disposition a été discrètement glissée par le gouvernement dans la loi sur l’économie maritime, toujours en discussion, qui crée un délit d’intrusion dans les « zones portuaires non accessibles au public » (les zones d’accès réservés), puni de six mois d’emprisonnement, sans rapport véritable avec l’objet du texte de loi sur l’économie bleue.
Lors de l’examen en juillet 2015 du projet de loi sur le droit des étrangers à l’Assemblée nationale, le gouvernement avait déjà tenté de déposer cet amendement, dont l’exposé des motifs était alors très clair : il visait à pénaliser des migrants qui s’introduiraient dans le port de Calais afin de tenter la traversée pour le Royaume-Uni.
Les députés socialistes s’y étaient opposés et le gouvernement avait retiré son amendement. « Toute tentative de rentrer dans un port doit être condamnée », assure Jean-Marc Puissesseau, pour qui les exactions sur la rocade devraient être aussi pénalisées.