A Kinshasa, les opposants accentuent la pression sur Joseph Kabila
A Kinshasa, les opposants accentuent la pression sur Joseph Kabila
Par Habibou Bangré (contributrice Le Monde Afrique, Kinshasa)
Malgré les tentatives d’intimidation du pouvoir, l’opposition a de nouveau exigé le départ du président Kabila, au terme de son mandat en novembre.
Se réunir malgré tout. Dimanche 24 avril à l’aube, dans le nord de Kinshasa, plusieurs responsables de l’opposition se sont retrouvés sur l’avenue de l’Enseignement, siège de plusieurs formations politiques. Ils n’étaient pas les seuls levés aux aurores : des groupes de policiers en uniforme étaient déployés dans la zone, stratégique : le boulevard Triomphal, parallèle à Enseignement, longe le palais du Peuple, le Parlement congolais, et le stade des Martyrs.
Ce déploiement n’est pas anodin. Comme prévoit la loi avant toute manifestation, les responsables politiques avaient informé les autorités de leur rassemblement sur le terrain vague situé entre Enseignement et Triomphal pour célébrer l’ouverture démocratique décrétée le 24 avril 1990 par l’ancien chef de l’Etat Mobutu Sese Seko (qui a dirigé le pays de 1965 à 1997). Mais le gouvernement de la province de Kinshasa a recommandé de délocaliser dans un lieu fermé pour raison de sécurité.
« Ici, il y a la peur »
L’opposition a rejeté cette proposition, jugeant, sur la base d’expériences passées, qu’il serait beaucoup plus difficile de fuir en cas d’incident. Beaucoup craignaient alors des heurts dimanche, d’autant que les rassemblements de l’opposition sont souvent empêchés. Jeancy, un étudiant habitant le quartier, a fait le déplacement mais reste sur ses gardes. « Au Congo, quand on voit la police, on est un peu inquiet », justifie-t-il.
En janvier 2015, plusieurs dizaines de personnes avaient été tuées dans la répression de manifestations contre un projet de loi électorale qui aurait pu prolonger le mandat de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, et accusé de vouloir s’accrocher au pouvoir. « Ici, il y a la peur quand il y a ce genre d’événements parce qu’il y a des morts, des blessés… Dans notre pays, on a une façon disproportionnée de faire les choses », regrette Jeancy.
Vers 9 heures, près du Parlement, un policier explique sa mission du jour. « On m’a instruit de garder la population et leurs biens, d’éviter les dérapages. » Sur le terrain vague, des footballeurs occupent tout l’espace prévu pour le meeting. « Ce sont des policiers ! Nous les avons vus arriver en uniforme puis se changer », lance le député Albert-Fabrice Puela. D’autres assurent que ce sont des militaires. Difficile de trancher.
Reste que le rassemblement dérange. « On a empêché qu’on déploie le podium. C’est une provocation ! C’est une privation de liberté ! », tempête Michel Bofua, l’un des organisateurs du meeting. En outre, des policiers auraient empêché des citoyens de venir et Vital Kamerhe dénonce que deux cadres de son Union pour la nation congolaise (UNC), troisième parti d’opposition, ont été arrêtés samedi 23 avril et conduits vers une « destination inconnue ».
« Au revoir, Kabila ! »
Les chefs de l’opposition improvisent un podium sur une terrasse des Forces novatrices pour l’unité et la solidarité (Fonus). En milieu de matinée, quelques centaines de personnes sont réunies aux abords de l’avenue de l’Enseignement, compliquant le passage des véhicules. On siffle, on chante des slogans hostiles au président. Vers midi, le nombre de militants a plus que doublé. Drapeau de leur parti en main, beaucoup ont investi le terrain vague.
Observés à distance par la police et le Bureau conjoint de l’ONU pour les droits de l’Homme, une quinzaine de politiciens réclament le respect de la Constitution qui empêche Joseph Kabila de briguer la présidentielle, prévue en novembre, mais qui risque fort d’être retardée. En chœur avec la foule, ils chantent « Au revoir, Kabila ! », lancent des « Yebela » (sache-le, en lingala) pour rappeler au chef de l’Etat que la fin de son mandat approche.
Alors que ce meeting s’achève, à Limete, dans le nord de Kinshasa, le parti au pouvoir commémore encore le 24 avril 1990. « Notre démocratie (…) est encore en danger car les politiques ne veulent pas se mettre d’accord pour libérer le processus électoral », confie Henri Mova, secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Une allusion au dialogue national politique inclusif boudé par des opposants.
« Le peuple souverain »
Ce dialogue a été convoqué en novembre par Joseph Kabila pour organiser des élections « apaisées » et « crédibles » mais certains y voient un « piège » pour garder le président en poste. « A supposer que le dialogue ne se tienne pas, le peuple reste malgré tout souverain » et il faudra lui « poser la question de ce qu’il advient de l’avenir du pays », commente Henri Mova, expliquant que l’une des voies pour le faire était « le référendum ».
A Goma, dans l’est du pays, l’opposition s’est réunie sans accroc. En revanche, à Lubumbashi, deuxième ville du pays (sud-est) : le meeting de Moïse Katumbi a été dispersé à coups de gaz lacrymogène et une « bonne quinzaine d’interpellations administratives » a été opérée, explique le général Jean-Bosco Galenga, chef de la police du Haut-Katanga. Motif ? Le rassemblement du probable candidat à la présidentielle, passé dans l’opposition en septembre, était interdit, et l’ordre public doit être « préservé », « maintenu », « rétabli le cas échéant ».