A Lille, Tariq Ramadan exhorte les musulmans à prendre leurs responsabilités
A Lille, Tariq Ramadan exhorte les musulmans à prendre leurs responsabilités
Par Laurie Moniez (Lille, correspondance)
Le théologien musulman était invité à s’exprimer dimanche à l’occasion de la très controversée Rencontre annuelle des musulmans du Nord.
Tariq Ramadan en 2010. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Malgré les polémiques, la neuvième Rencontre annuelle des musulmans du Nord (RAMN) a finalement eu lieu, dimanche 7 février. Dans l’enceinte de Lille Grand Palais, près de 3 000 musulmans de la région se sont réunis à l’appel de la Ligue islamique du Nord (LIN), l’une des branches de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France).
Les organisateurs avaient initialement convié à cette journée consacrée aux jeunes musulmans trois orateurs controversés : le Saoudien Abdallah Salah Sana’an, le Marocain Abouzaid Al-Mokri et le Syrien Mohammed Rateb Al-Nabulsi. Le 1er février, Nicolas Dupont-Aignan avait demandé à l’Etat d’intervenir pour interdire ce rendez-vous proposé par l’UOIF. Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait promis « une totale vigilance » sur les propos qu’auraient tenus ces intervenants. Finalement, l’UOIF a choisi de les déprogrammer.
Le théologien islamique syrien Mohammed Rateb Al-Nabulsi, membre des Frères musulmans et favorable à une application stricte de la charia, notamment vis-à-vis des apostats et des homosexuels, s’est vu refuser son visa par les Pays-Bas. « On me dit qu’il est homophobe, a expliqué Amar Lasfar, président de l’UOIF. Je suis allé vérifier et effectivement il a des positions qu’on ne peut accepter. »
Le président de la LIN, a quant à lui insisté auprès de la presse sur le fait qu’il n’avait pas les moyens de vérifier les propos des invités. « Si on avait su qu’il avait tenu des propos contre les homosexuels ou les juifs, on ne l’aurait pas invité, a insisté Rachid Hamoudi, organisateur de la RAMN. Je vous demande de nous croire. »
Aucun politique invité n’était présent
Concernant la venue du député marocain Abouzaid Al-Mokri, « suite à cette polémique, on l’a déprogrammé, a ajouté Amar Lasfar, par ailleurs recteur de la mosquée de Lille sud. Enfin, le Saoudien Abdallah Salah Sana’an vient chaque année au Bourget lire le Coran, il vient pour la bénédiction. Mais, quand on a vu tout ça, on a dit “reste chez toi” ».
En fin de matinée, la présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val-d’Oise, Laurence Marchand-Taillade, secrétaire nationale du PRG, est venue manifester devant le bâtiment lillois pour dénoncer l’UOIF « qui tient un double langage ». Elle a rappelé son souhait d’un moratoire sur l’ensemble des associations cultuelles pour toutes les religions et d’une commission d’enquête sur ces associations.
Derrière cette controverse surgit à nouveau la question du double discours de l’UOIF et de leurs relations avec les Frères musulmans. Si Amar Lasfar assure qu’il n’y a jamais eu de bavures ou de dérapages les années antérieures, on notera que, cette année, aucun politique invité n’a souhaité prendre part au déjeuner organisé par la LIN.
La maire de Lille, Martine Aubry, a pris ses distances avec le président depuis quelques années. « Elle est en froid avec nous », confirme Amar Lasfar. En 2013 déjà, elle avait déclaré être choquée par la présence du cheikh Salah Sultan et de Tariq Ramadan à la rencontre annuelle des musulmans du Nord. « La maire de Lille m’a dit un jour dans son bureau qu’on tenait un double discours, raconte Amar Lasfar. Je lui ai répondu : comme vous, Madame le maire, un homme public doit avoir plusieurs discours. Le discours que je tiens à la mosquée, ce n’est pas celui que je tiens devant les caméras. Tout le monde fait ça. Je ne peux pas parler de la même façon à telle ou telle couche de la société. Mais le fond ne change pas. Croyez-moi, on ne peut pas avoir un double discours pendant trente-six ans. »
« Nous sommes des agents de réconciliation »
Et c’est sur ce thème que Tariq Ramadan a conclu la journée de conférences. Seul sur scène, entouré de drapeaux français, il a insisté sur la nécessité de clarté et de clarification des discours. Dénonçant le débat sur la déchéance de nationalité – « comme si certains Français étaient plus français que d’autres » –, il a affirmé : « L’illégalité n’est pas là où on le croit ; nous [musulmans de France] sommes des agents de réconciliation entre les valeurs de la France. »
Le théologien a exhorté les milliers de musulmans présents dans la salle lilloise à prendre leurs responsabilités : « Quand on dit qu’on peut tuer des innocents au nom de l’islam, nous, nous avons l’obligation de dire que nous condamnons ces propos et nous les combattrons. »
Pour finir, Tariq Ramadan a confirmé qu’il allait demander la nationalité française. « Ce n’est pas une boutade, a-t-il souligné sous un tonnerre d’applaudissements. La France est un pays que je connais bien. On va voir s’ils vont me refuser la nationalité. » Quelles sont ses intentions futures ? « La France a un grand besoin de renouveau de sa classe politique », a lancé le tribun dans un discours enflammé. Faut-il y voir un lien ?