Habitant Sangatte, Henri-Philippe H. a été parmi ceux qui ont activement lutter pour le démantèlement de centre de la Croix-Rouge fermé en 2002.

Nous avons rencontré Henri-Philippe lors d’un précédent reportage et publions ici un entretien plus approfondi avec lui.

« J’essaye de comprendre tout le monde, mais je voudrais que de temps en temps on puisse comprendre que les gens en ont un peu ras-le-bol », prévient Henri-Philippe alors que nous roulons et que le paysage est hérissé de hauts grillages blancs coiffés de barbelés afin de sécuriser le site du tunnel sous la Manche. « C’est tout nouveau », dit-il en les montrant d’un geste. « On voit ça et on se dit, il y a un truc qui ne va pas. »

Le site du tunnel sous la Manche a été entièrement entouré de hautes barrières et de barbelés. Les arbres qui l'entouraient ont été coupés pour que les migrants ne puissent pas approcher du site sans être détectés. Par endroits, d'immenses douves ont été creusées et emplies d'eau pour empêcher l'accès.

Henri-Philippe nous reçoit dans son bureau, au premier étage de la maison dans laquelle il vit et dirige une société de conseil et formation en propreté. « La Junglene me gêne plus dans mon quotidien. » La cinquantaine joviale, ce passionné de courses automobiles parle vite, il a des choses à dire. Habitant Sangatte de longue date, il a vécu cette situation « tous les jours » depuis l’ouverture du centre d’accueil de la Croix-Rouge en 1999 jusqu’à sa fermeture en 2002, pour laquelle il a milité. « Ça a été rasé, c’est terminé. » Mais il estime que la situation à Calais se reproduit, « sans solution ».

La grille qui fermait l'ancien camp de réfugiés de Sangatte est encore en place, mais il ne reste plus rien de ce lieu qui accuillait près de 1 600 candidats à la traversée vers l'Angleterre avant d'être démantelé en 2002. | Antonin Sabot/Le Monde

Une lueur d’ironie dans le regard, Henri-Philippe dit ne pas avoir le sentiment que les « problèmes de petits-bourgeois » que ça pose soient pris en compte. On sent l’homme troublé par la situation que vit le Calaisis depuis de nombreuses années. « C’est de ma faute si j’ai une maison chauffée ? », s’exclame-t-il. « Quand je vois des enfants vivre dans ces conditions, bien sûr que je suis remué », enchaîne-t-il, en contrepoint d’une culpabilité qui affleure. Sans solution.

« Les gens ne sont pas écoutés »

« Au début à Sangatte, on apportait à manger, des vêtements », « puis on s’est aperçus que c’était devenu un business » pour les passeurs. Il voudrait dénoncer l’absurdité de la situation sans passer pour un extrémiste, qu’il n’est pas.

A Sangatte, il y avait ceux qui étaient favorables à la fermeture du centre de la Croix-Rouge et ceux qui ne l’étaient pas. Lui s’est rangé du côté de la fronde qui militait pour, emmenée par un collectif de citoyens créé fin 2000, dont un médecin, Pascal Dubus, était le porte-parole, au discours « apaisant, bien orienté vers la défense de la ville et le questionnement de l’Etat sur le devenir du centre ».

Antonin Sabot/Le Monde

A l’époque, Sangatte Blériot-Plage comptait 4 000 habitants et le centre de la Croix-Rouge prévu pour 300 réfugiés en a accueilli plus de 1 600. « Vous vous dites, c’est la démesure », un terme qui reviendra à plusieurs reprises dans la conversation. Le débit de tabac fermait uniquement le dimanche, entre 13 et 16 heures. « A la réouverture, il fallait des CRS » pour gérer l’afflux des « gars », venus acheter cigarettes, cannettes et autres cartes téléphoniques. « Les gens réclament des choses, ils ne sont pas écoutés. C’est ça l’histoire », conclut Henri-Philippe, après avoir expliqué qu’ils demandaient par exemple de déplacer les trois cabines téléphoniques du village devant le centre de la Croix-Rouge, qu’ils ont fini « par arracher ». « On n’est pas des crapules. » Mais « on n’a pas le droit de dire quelque chose contre la situation, ce n’est pas politiquement correct », déplore-t-il. La presse minimise, selon lui. Mais « on peut comprendre la misère des gens et comprendre qu’on n’a pas envie d’être emmerdé, non ? ».

Il se lève et exhibe dans un large sourire le fruit de son combat : un morceau de ferraille issu du centre. Une survivance d’années que l’on sent difficiles et qui ont divisé les Sangattois, sans pour autant les mener à la violence. « On était à l’époque accompagnés par le maire PS [André Segard, mort en 2006], qui tentait de fédérer la colère des habitants, en la rendant humaine », « on demandait juste un bon équilibre ».

« Le droit à la propriété bafoué »

Fin décembre 2001, le maire déclarait : « On ne peut pas attendre que notre petite ville assume seule un problème de dimension européenne et même internationale », « les pouvoirs publics ne se préoccupent pas des habitants et des riverains. Nous n’avons aucune aide de l’Etat. Nous ne sommes jamais informés ou même consultés ». Pour André Segard, « laisser la situation pourrir », c’était « prendre le risque de faire naître des sentiments de rejet et de xénophobie qui ne sont pas propres » au Nord-Pas-de-Calais.

Pascal Dubus, aujourd’hui adjoint au maire, raconte début février dans une interview à Nord littoral : « Les gens avaient peur. Quand le droit à la propriété est bafoué, quand les gens ne se sentent plus en sécurité même chez eux, c’est quelque chose de très difficile à vivre. » Pour lui, il y a eu un vrai changement après l’envahissement du tunnel sous la Manche par cinq cents migrants le 28 décembre 2001.

Le collectif a alors lancé une initiative pour le premier tour de la présidentielle en 2002, raconte Henri-Philippe : glisser un bulletin jaune, donc nul, dans les urnes, en guise de protestation. Une intiative qui a récolté 38,6 % des suffrages exprimés. Plus de 22 % des voix sont allées au Front national. Et au second tour, Chirac a atteint 76 %. Pour lui, le vote frontiste est un vote « de désespoir ». 

Collectif Sauvons Calais

A Calais, il a le sentiment que la municipalité Les Républicains a attisé les divisions, en appelant en 2014 sur Facebook les Calaisiens à signaler par mail la présence de squats de migrants dans la ville, ce qui a fait naître le collectif aux idées extrémistes Sauvons Calais.

Dix-sept ans plus tard, et alors que la situation le préoccupe toujours, même si elle ne se trouve plus sous ses fenêtres, Henri-Philippe ne se sent pas représenté. « On ne peut rien dire, on est soit pour, soit contre. » Pour s’être intéressé au départ à différents collectifs, dont celui des Calaisiens en colère – qui se dit « apolitique » et « non violent », créé en juin 2015 par des riverains du chemin des Dunes et de la route de Gravelines –, il s’en est rapidement détourné en raison de propos extrémistes et anti-migrants véhiculés, qui ont abouti depuis à une scission au sein du collectif. Il remarque d’ailleurs qu’aucune personnalité, aucun homme politique « n’est venu s’accrocher aux projets », un « signe » selon lui. Car « la clé du problème, ce sont nos politiques qui l’ont », affirme-t-il, sauf à vouloir « pousser les gens vers l’extrémisme ».

Il voit dans le Grand rassemblement du Calaisis dont une délégation a été reçue à l’Elysée le 7 mars et regroupe de nombreux acteurs économiques « une chance d’être crédible », « ces gens-là ont envie de poser les vraies questions ». Etre entendu, une nécessité.