Alain Finkielkraut à la Nuit debout, le 16 avril. | Youtube.com/ Cercle des Volontaires

« Le vrai visage de Nuit debout », « séquence navrante »… On comptait, lundi 18 avril, plus d’une centaine d’articles consacrés à l’expulsion, dans la soirée du 16 avril, de l’académicien et philosophe Alain Finkielkraut de la place de la République à Paris.

C’est sur cette place que se tient depuis le 31 mars la Nuit debout, un mouvement contre, entre autres, le projet de réforme du code du travail. Indignation, regrets, colère, politiques comme éditorialistes sont nombreux à évoquer l’histoire. Sans toutefois accorder beaucoup d’importance aux faits.

1. Que s’est-il passé ?

M. Finkielkraut est arrivé sur la place dans la soirée. Mais, contrairement à ce qu’on peut lire un peu partout, il n’a pas été agressé d’emblée.

Plusieurs témoignages – notamment celui d’une participante au mouvement interrogée par Europe 1 – informent qu’il a pu assister à une assemblée générale et discuter durant un bon moment. Selon un billet de blog de plusieurs « participants à la commission accueil et sécurité » de la Nuit debout, il serait resté « plus d’une heure » avant d’être pris à partie.

C’est en repartant qu’il aurait été interpellé par des participants. Un tweet des Jeunes Communistes, à 21 h 18, explique : « On l’a tej [jeté]. »

Et c’est cette altercation que l’on voit sur cette vidéo, mise en ligne peu avant 1 heure du matin par le Cercle des volontaires, qui se veut un « média alternatif et indépendant », et ne semble pas porter dans son cœur la Nuit debout. La vidéo montre M. Finkielkraut en train de discuter avec un homme qui tente de le convaincre de l’intérêt du mouvement et du fait qu’il a « le droit d’être là ».

Alain Finkielkraut après son éviction de la Nuit Debout
Durée : 02:25

Le philosophe ne semble pas particulièrement inquiet ou physiquement menacé, mais on entend derrière lui « Casse-toi ! » et « Finkie avec nous ! », des paroles qui le conduisent à se retourner pour répondre « Fascistes ! » à la foule. On aperçoit en arrière-plan des personnes qui s’interposent entre lui et les groupes de participants.

Alain Finkielkraut agressé Place de la République nuit debout 16 avril 2016
Durée : 02:59

Une autre vidéo, mise en ligne sur un autre compte « conspirationniste » montre le contrepoint de la scène, où M. Finkielkraut est traité de « facho » avant de répondre « Fascistes ! » à ses opposants.

Dans une troisième vidéo, on peut voir le philosophe répondre à une femme qui l’interpelle d’une onomatopée, qui a fait le bonheur des réseaux sociaux lundi.

2. M. Finkielkraut a-t-il reçu des crachats ?

Il ne semble pas

« Je me suis fait cracher dessus », a déclaré M. Finkielkraut en quittant la place. De nombreux éditorialistes se sont depuis indignés qu’ont lui ait « craché à la figure ».

Dans la première vidéo de l’altercation, on voit bien un homme cracher en direction de l’académicien (vers 40 s). Mais c’est la personne qui tient la caméra qui reçoit le crachat.

Les autres vidéos ne montrent pas de scène comparable.

3. Y a-t-il eu des injures antisémites ?

Difficile à dire

Les participants à la Nuit debout qui ont invectivé le philosophe n’ont tenu aucun propos antisémite. Dans la deuxième vidéo, qui dure un peu moins de trois minutes, on entend surtout : « Saloperie ! », « Fasciste ! », « Facho ! », « Casse-toi ! », « Bouge ! »

Plusieurs internautes pensent entendre « Sale juif ! » (vers 52 s), mais la scène confuse et le son de mauvaise qualité ne permettent pas de déterminer qui parle et qui dit quoi à ce moment. Bien que plusieurs personnes au sein de notre rédaction aient écouté le passage, nous ne parvenons pas à avoir un avis tranché sur la question.

4. La Nuit debout n’est-elle pas apolitique ?

Apolitique, pas partisane

Le cœur de la polémique est visible dans une autre vidéo, filmée par France 2. On y voit le philosophe avant son éviction, se promener dans la foule. Une voix de femme dit alors : « On est un mouvement de gauche, on ne veut pas de lui. » Et M. Finkielkraut d’ironiser : « C’est formidable cette agora où tout le monde ne peut pas parler. »

Nuit Debout : Provocation néopétainiste d'Alain Finkielkraut, de l'Académie française !
Durée : 00:48

Au-delà de la scène, en effet, le reproche émis à l’encontre de la Nuit debout est de ne pas accueillir tout le monde ou de ne pas laisser tout le monde parler, et de sélectionner qui peut ou non venir. En clair, son caractère apolitique ou non.

Un billet de blog rédigé par des membres de la commission accueil et sécurité à la suite de l’éditorial de Laurent Joffrin dans Libération tente de répondre à la critique : 

« Puisqu’il est visiblement nécessaire de le rappeler, ce rassemblement quotidien est directement issu d’un mouvement social s’opposant au projet de loi travail. Ainsi, jamais la Nuit debout n’a eu cette prétention de neutralité politique qu’exigent abusivement de nombreux médias en la réduisant à un cadre formel de délibération collective. Sans se risquer à caractériser politiquement la Nuit debout, il semble que sa simple existence en tant que prolongement de préoccupations sociales suffit à expliquer qu’elle s’oppose à la réduction du débat politique aux problèmes identitaires dont l’essayiste s’est fait le héraut. »

En clair, la Nuit debout ne s’inscrit pas, à leurs yeux, dans une logique de neutralité politique, mais plutôt dans celle d’un mouvement de lutte sociale, donc à gauche. Et l’académicien, connu pour ses positions réactionnaires, et notamment pour sa stigmatisation du caractère à ses yeux dangereux des foules et des mouvements sociaux, ne pouvait ignorer qu’en venant à la Nuit debout il s’exposait à subir la colère de ladite foule. Ce qui n’a pas manqué de se produire.

5. M. Finkielkraut a-t-il menacé physiquement des participants de la Nuit debout ?

Il semble que non

La deuxième vidéo montre le philosophe très remonté alors qu’il quitte la place de la République. « Gnagnagnagna… Pauvre conne ! Pauvre conne ! », hurle-t-il à une femme qui l’interpelle (vers 1 min 25 s).

Peu après, il lance : « Des coups de latte, hein, qu’il me faut ? Des coups de latte, hein ? » « N’en rajoutez pas non plus… », réplique un participant. « Mais ça va ! Je me fais insulter : je peux répondre », rétorque M. Finkielkraut.

Certains, sur les réseaux sociaux, ont laissé entendre qu’il avait lui-même menacé des participants de « coups de latte », mais les vidéos le montrent surtout passablement énervé, répondant aux insultes par d’autres insultes.

Véronique Genest « agressée » également ?

Autre cas, celui de l’actrice Véronique Genest, qui a dit dans une interview à la chaîne I24 News avoir elle aussi été victime d’une « agression ». Mais Mme Genest, qui vit à proximité de la place de la République, explique ensuite plus précisément que son « agression » s’est produite non pas sur la place, mais dans une rue proche. Quant à la nature de l’agression... « Un mec m’a agressée, il m’a dit que j’étais populiste », précise l’actrice. Qui, de son côté, n’est pas avare de tweets peu amènes à l’égard de Nuit debout.