Un ouvrier d'ArcelorMittal à Grande-Synthe, dans le nord de la France, le 22 avril 2013. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

C’est un tournant pour ArcelorMittal. Jeudi 10 mars, réunis à Luxembourg, les actionnaires du numéro un mondial de l’acier ont approuvé une augmentation de capital de 3 milliards de dollars (2,72 milliards d’euros). La résolution a été adoptée à une très large majorité : 97 % des votants ont dit oui. Dévoilée le 4 février, l’opération est destinée à remédier à l’endettement record de l’entreprise, qui a atteint le montant de 15,7 milliards de dollars en 2015. La famille du président du groupe – l’Indien Lakshmi Mittal –, actionnaire de référence avec 37 % des actions et des droits de vote, s’est engagée dans cette levée de fonds. Pour éviter toute dilution, ce sera donc à hauteur de sa participation. Il lui en coûtera 1,1 milliard de dollars.

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Il y a urgence. La société a besoin d’argent frais. L’ensemble, né de la fusion du groupe européen Arcelor et du sidérurgiste Mittal Steel après une offre publique d’achat homérique en 2006, est laminé par la crise de l’acier. La Chine inonde le marché mondial de ses surplus de production. Les aciéristes de République populaire écoulent davantage de tonnes d’acier que le Japon, l’Inde, les Etats-Unis et la Russie réunis – ces pays sont les quatre autres principaux producteurs – d’après la chambre de commerce de l’Union européenne à Pékin. Résultat : le prix de l’acier a perdu près de 30 % en un an. « Cet excès de capacité est analogue à ce que la sidérurgie a connu dans les années 1960 sur le Vieux Continent », note un ancien dirigeant d’Arcelor.

« Décisions stratégiques malheureuses »

Depuis, ArcelorMittal ne cesse de perdre du terrain. Les ventes du groupe se sont contractées de près de 20 % en 2015, à 63,5 milliards de dollars. Ses pertes se sont creusées pour s’établir à 7,9 milliards de dollars, soit quasiment huit fois plus qu’au terme de l’exercice 2014. Depuis 2009, c’est la troisième fois que le sidérurgiste cherche son salut dans une levée de fonds. A l’époque, sous les coups de butoir de la crise financière et de l’effondrement de la demande des secteurs de la construction (BTP) et de l’automobile en Europe, il avait eu recours au marché pour lever 2,5 milliards de dollars. En janvier 2013, il a réitéré avec une levée de fonds de 4 milliards. Trois ans après, voilà un nouvel aveu de faiblesse : M. Mittal a encore besoin de liquidités.

La capitalisation boursière du groupe s’élève à 8 milliards d’euros. Au moment de la fusion entre Mittal Steel et Arcelor, en 2006, l’entreprise valait plus du triple

Mais la conjoncture n’est, cette fois, pas la seule responsable. « Le groupe est affecté par des décisions stratégiques malheureuses dans les activités minières. Leurs conséquences ont été amplifiées par la conjoncture », décode Marcel Genet, consultant spécialiste du secteur de la sidérurgie chez Laplace Conseil. A la fin des années 1990, Mittal Steel avait racheté à tout-va des mines de fer, notamment en Roumanie et en Ukraine, à la faveur des privatisations orchestrées dans ces pays. La manœuvre semblait judicieuse, non audacieuse. Elle permettait d’échapper au diktat des fournisseurs brésiliens ou indiens. Mais, en 2015, le minerai de fer ne vaut plus grand-chose. Aussi, « ArcelorMittal n’a pas mis à niveau ses sites d’Europe de l’Est. Les bons actifs du groupe ont d’ailleurs toujours été rares », fait valoir un ancien haut dirigeant. Début 2016, le sidérurgiste a dû les passer en revue et procéder dans la foulée à 4,8 milliards de dollars de dépréciations.

Dix ans après la fusion entre Mittal Steel et Arcelor, force est de constater que le groupe fait pâle figure. Sa capitalisation boursière atteint 8 milliards d’euros environ. Le 25 juin 2006 – jour où le conseil d’administration d’Arcelor avait avalisé l’offre de Mittal au prix de 40,40 euros l’action, le groupe européen valait, à lui seul, plus du triple, soit 25,4 milliards d’euros. La fonte de valeur est telle que les mérites de la fusion entre Mittal Steel et Arcelor – entreprise née de la fusion du français Usinor, du luxembourgeois Arbed et de l’espagnol Aceralia en 2001 – sont toutes remises en cause.

« Quelle est la valeur ajoutée d’un groupe mondial dans la sidérurgie ? », s’interroge M. Genet. Cette industrie n’a rien de commun avec la grande distribution ou le high-tech, des secteurs qui peuvent dégager des synergies à l’achat. Le fait d’être un numéro un mondial accorde ici peu de bienfaits.

« A quoi bon mettre dans un même ensemble toutes ces usines ? Est-ce que cela a permis de créer des aciers nouveaux ? De mieux négocier avec les fournisseurs ? De faire des économies en frais de structure ? (…) Une décennie après la fusion, on ne voit toujours pas en quoi celle-ci a apporté à ArcelorMittal un avantage compétitif décisif pour résister aux aléas de la conjoncture », tranche M. Genet.

En interne, les salariés incriminent « l’approche financière » qui gouverne selon eux toutes les décisions prises depuis le 17 novembre 2006, date à laquelle Lakshmi Mittal s’est imposé à la présidence du groupe. « Depuis (…) le parent pauvre reste l’investissement tant technique que social », juge Géry Thoraval, délégué syndical CFDT à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).

Une mécanique bien connue

Certes, le groupe, qui emploie 1 300 chercheurs – dont 800 dans son centre de recherche mondial de Maizières-lès-Metz (Moselle) – a maintenu ses investissements dans la recherche et le développement, le nerf de la guerre, ce qui lui a permis de mettre sur le marché des aciers plus légers dont les constructeurs automobiles sont friands. « Il faut lui reconnaître d’avoir réussi cela », note un ancien dirigeant d’Arcelor. Le 12 février, le sidérurgiste a encore annoncé une enveloppe de 54 millions d’euros d’investissement pour ses sites de Dunkerque et de Mardyck (Nord). Mais, s’interroge l’ex-cadre, peut-il dépenser plus pour améliorer la productivité « d’usines vieilles de cinquante ans quand les aciéristes chinois font tourner des équipements de seulement dix ans d’âge » ?

Le groupe est en effet contraint de faire des coupes dans ses dépenses. Une mécanique bien connue : ArcelorMittal doit accompagner sa levée de fonds d’un plan de réduction de ses coûts. Ce dernier, baptisé « plan 2020 », prévoit que d’ici à quatre ans, l’entreprise doit dégager 3 milliards de dollars d’économies. « Celles-ci seront suffisantes seulement si le marché a touché son plus bas », juge Crédit Suisse. Le plan s’engage avec des cessions : ArcelorMittal va vendre les 35 % qu’il détient au capital de l’équipementier espagnol Gestamp. Réalisée au profit de la famille Riberas, avec laquelle Arcelor s’était associé en 1998 pour créer cette joint-venture spécialisée dans l’emboutissage et l’assemblage automobiles, l’opération lui rapportera 875 millions d’euros, jure-t-il.

Mais le groupe doit aussi réduire ses pertes opérationnelles. Faute de demandes, il a déjà coupé les feux de son site de Sestao, à proximité du port de Bilbao, en Espagne. Cette aciérie électrique d’une capacité de 1,5 million de tonnes par an est à l’arrêt depuis février. Aucune date de reprise n’est fixée. « ArcelorMittal a toujours procédé ainsi. Et aucun des sites fermés à titre provisoire n’a rouvert », s’alarme Edouard Martin, ancien délégué du personnel CFDT à Florange (Moselle), aujourd’hui député européen (Parti socialiste). Pour preuve : au Luxembourg, le site de Schifflange était l’objet d’une fermeture « temporaire » depuis 2011. L’arrêt de l’activité était déjà à l’ordre du jour sous l’ère Arcelor ; début février, la fermeture définitive a été prononcée ; 700 personnes sont concernées.

En France aussi, des compressions de coûts

En France, où il emploie 17 200 salariés, le groupe procède aussi à des cessions d’actifs et à des réductions de coûts. ArcelorMittal est en train de céder son unité de production d’énergie de Fos-sur-Mer à Veolia, d’après les informations du Monde. Cette opération pourrait être bouclée d’ici à juin. Ni le sidérurgiste ni Veolia n’ont souhaité s’exprimer sur ce dossier. Le bulletin de salaire d’une centaine des agents employés par ArcelorMittal pourrait ainsi basculer vers Veolia.

« En France, le dispositif industriel est calé », précise une porte-parole

Depuis la fermeture des hauts fourneaux de Florange en 2013, le groupe continue de comprimer ses coûts dans l’Hexagone. Ce ne sera pas à Dunkerque. Spécialisée dans les produits à forte valeur ajoutée, cette usine échappe à la crise. « Le carnet de commandes est plein », note un syndicaliste. Et le rebond actuel du marché automobile – sa spécialité – autorise tous les espoirs.

A Fos, l’ambiance est tout autre. La concurrence chinoise s’y fait sentir. ArcelorMittal a obtenu l’autorisation administrative d’y recourir au chômage partiel d’ici à fin mars. Il n’y a pas encore fait appel, mais les 2 500 employés s’en inquiètent. « Par salves successives », les plans de réduction de coûts ont eu « des conséquences sensibles sur l’entretien et la fiabilité de nos outils », s’alarme M. Thoraval.

ArcelorMittal ira-t-il plus loin ? Le groupe jure n’avoir aucune intention de fermer des capacités. « En France, le dispositif industriel est calé », précise une porte-parole. Son salut passera-t-il alors par des cessions ? « Mais personne ne prendra le risque de lui racheter des actifs, alors que les cours du minerai et de l’acier sont au plus bas », prédit un ancien dirigeant d’Arcelor. Le groupe devra alors faire des choix pour se financer et mettre à niveau ses actifs d’Europe de l’Ouest.