Astro Teller : « l’intelligence artificielle n’est pas une fin en soi »
Durée : 03:53
Images : Olivier Clairouin et Jean-Guillaume Santi / Le Monde.fr

Changer le monde, c’est « faire disparaître de nombreux problèmes » : voilà la devise déployée par Astro Teller pendant un peu plus d’une heure devant le grand auditorium de l’opéra Bastille, dans le cadre du Monde festival. Le responsable de Google [X], le laboratoire de recherche du géant du Web, s’est employé à expliquer les concepts et pratiques derrière les « moonshots », ces projets un peu fous menés au sein de Google [X] comme les voitures sans conducteurs ou des ballons devant fournir une connexion à Internet depuis les airs.

Pour mener ces recherches de nature très diverses, ayant abouti par exemple à la création des lunettes connectées Google Glass, « il n'y a pas de méthode unique », a admis Astro Teller, tant les contraintes de chaque projet sont spécifiques. Mais le modus operandi qu’il utilise pour trouver et mener des projets innovants devrait selon lui s’appliquer « à tous types d’entreprises, et dans les gouvernements » :

« Une chose que je dis toujours à mes équipes : quelles que soient les difficultés d’un projet, vous ne pourrez pas les éviter. Mais vous aurez toujours une solution pour les résoudre, d’une manière ou d’une autre. Et pour choisir la meilleure voie, il faut prendre la solution où le potentiel d’apprentissage est plus important ».

Cette philosophie, qui se veut volontiers iconoclaste – « vous devez trouver les quelques règles d’une industrie dont vous essayez de résoudre les problèmes, puis casser ces règles » – est selon Astro Teller nécessaire pour que des idées puis s’appliquer ensuite « dans le vrai monde, et pour les vrais gens », surtout lorsque votre projet « vise à rendre une chose dix fois meilleure, et pas seulement 10 % meilleures ».

Ballons connectés et éoliennes volantes

Autant de considérations qui n’ont pas cependant beaucoup renseigné la centaine de spectateurs du Monde Festival sur les nouveaux projets actuellement développés chez Google [X], conformément à la culture du secret qui entoure le laboratoire. La description par Astro Teller de Mankani, un concept de cerf-volant pour fournir de l’énergie éolienne s’est fondée sur des expérimentations datant de plusieurs années. Et bien que très enthousiaste sur la conception des ballons connectés du projet Loon (« ces ballons sont très fins, ils sont incroyables (…) ils doivent subir des forts changements de températures et de pression tout en maintenant une technologie qui fonctionne à l’intérieur »), Astro Teller n’a pas dit si, quand et comment ils seraient déployés pour fournir une connexion Internet aux zones reculées ou aux populations non-couvertes.

« Chaque projet est loin, à différents niveaux, de sa phase commerciale (…) même si dans le secteur des technologies, pour que les choses avancent, il y a nécessairement une notion de profit potentiel. (…) Des ballons connectés pourront peut-être bientôt survoler la France mais sans qu’on vende quoique ce soit avec », a-t-il précisé. Même chose concernant les voitures sans conducteur de Google, que nous ne verrons pas demain débouler sur les routes : « l’industrie automobile construit des voitures depuis très longtemps. (..) Nous n’avons pas l’ambition de les concurrencer », a redit Astro Teller, dans la lignée des déclarations concernant les récentes discussions entre Google et des constructeurs japonais sur le sujet.

Être « responsablement irresponsable »

Même sans annonce concrète, les propos d’Astro Teller ont permis d’appréhender l’ambiance de travail au sein de GoogleX. Il a reconnu volontiers demander à ses équipes de cultiver un esprit « responsablement irresponsable » face aux champs de recherches potentiels et problèmes rencontrés : « Tout le monde devrait s’employer à trouver des perspectives nouvelles pour résoudre un problème réputé insolvable. (…) Il n’y a besoin que d’un groupe de 5 ou 10 personnes motivées pour que les recherches de telles solutions aboutissent. » Ses salariés, il les qualifie volontiers de « Peter Pan avec des doctorats », et son style de management a de quoi surprendre : à Google [X], l’échec est récompensé, parfois sous la forme d’une promotion, parce que, juge M. Teller, ce sont les échecs qui nous apprennent le plus.

Une telle « irresponsabilité » n’est cependant pas la clé de tout : interrogé sur les évolutions de la société par rapport au progrès technique, Astro Teller a estimé que « les dynamiques sociales doivent évoluer en fonction des évolutions technologiques. (…) L’éducation actuelle des enfants, par exemple, doit changer. Pour ma part, je traite mes enfants comme des adultes. Je veux qu’ils aiment apprendre dans le monde actuel, tout en étant responsables. » Comme quoi Peter Pan garde aussi les pieds sur Terre.