Bérengère Krief : « Je n’ai jamais été dans le temps d’après »
Bérengère Krief : « Je n’ai jamais été dans le temps d’après »
M le magazine du Monde
[Série] A une époque de profondes mutations, le rapport au temps est chamboulé. Nous avons invité des personnalités et des anonymes de tous horizons à se confier sur ce vaste sujet. Cette semaine, l’humoriste et comédienne du film « Adopte un veuf ».
Bérengère Krief, à Paris le 12 avril 2016. | Aï Estelle Barreyre pour "M Le magazine du Monde"
Depuis un peu plus de dix ans, Bérengère Krief coche les cases de la comédienne à la perfection. Du théâtre, une troupe, un personnage dans la série « Hero Corp », un rôle récurrent dans le programme court « Bref », deux one-woman-show, et désormais le cinéma. Elle occupe avec brio la tête d’affiche de la nouvelle comédie de François Desagnat, Adopte un veuf au côté d’André Dussollier.
Une carrière d’humoriste commence souvent par des petites scènes, des petits boulots, des apparitions ça et là. Comment appréhendiez-vous ce temps ?
Je n’ai jamais été dans le temps d’après. Je n’étais pas impatiente. J’avais conscience de démarrer, de jouer dans une petite salle, en effet, mais qui se remplissait. Je gérais bien tout cela. Dans le boulot, je réussis à gérer une impatience naturelle en prenant les choses étape par étape. Quand j’ai fait l’Olympia l’an passé, je me suis rendu compte que je ne l’avais pas rêvé avant. J’étais évidemment très heureuse mais c’était savoureux car j’avais vécu pleinement les étapes d’avant. C’était une récompense. En revanche, quand je visite un appartement et que j’attends la réponse, je suis capable d’appeler l’agence trois ou quatre fois pour les tanner. Quand je dois offrir un cadeau aussi, ou à Noël. Comme une sorte d’impatience enfantine.
Vous en êtes à l’étape d’après avec ce premier rôle principal. N’avez-vous pas l’impression que tout s’accélère ?
Oui. Avec le cinéma tout s’est joué très rapidement. Quand je me suis vue, j’ai eu l’impression d’être dans le rêve auquel je n’osais pas penser. L’affiche, le nom au générique, André Dussollier… Pour le peu de films dans lesquels j’ai tourné, je mesure la chance d’avoir déjà un premier rôle.
Le cinéma ne rend-il pas plus impatiente de la suite ?
Le cinéma n’est pas une science exacte. Effectivement, j’aimerais que ce film puisse ouvrir la porte à d’autres. Toutefois, pendant la tournée en province, je me persuadais que ce temps devait être savouré, car une fois sorti, ça serait fini. C’est très différent du spectacle qui commence tous les jours à 20 heures, et qui se termine à 21h45.
Pour un film, on tourne, il ne se passe plus rien, puis le montage, puis on le découvre, puis on le présente, puis on en fait la promo, il sort et c’est fini. Cela représente plus d’un an de boulot ! Et pour celui-là, trois ans depuis le moment où l’on m’en a parlé pour la première fois.
Pour revenir aux spectacles et leur conception, j’imagine que le tempo est essentiel. Il y a un rythme des blagues…
Je crois que j’ai appris à apprivoiser mon côté comique depuis toute petite. C’est comme en musique, ce sont des notes qui s’enchaînent. Quand je travaille à l’écriture de mes spectacles avec un coauteur, Grégoire Dey, on écrit les notes puis il y a la rythmique, l’appui sur certains mots que je pose naturellement puis que l’on ajuste. Si les gens rient une fois sur trois à une même vanne, c’est qu’elle est drôle sur l’échelle des trucs drôles mais moins drôle que lorsque les gens rient à chaque fois. Je ne teste jamais mes spectacles avant auprès de mes amis, genre : « Attention j’ai un nouveau sketch ! » Mon objectif est que les gens qui ressortent du théâtre aient ri physiquement ! Qu’ils retrouvent des couleurs. Il faut donc être très efficace. Sur un sketch de quatre pages, on va le réduire à deux puis à une pour que cela soit le florilège de ce qui marche.
Avez-vous des rituels pour bien vivre la journée qui précède le spectacle ?
"Avant, les journées précédant les spectacles étaient pour moi inutiles. Finalement, je me suis rendu compte que ne rien vivre avant d’aller jouer n’était pas bon", explique Bérengère Krief. | Aï Estelle Barreyre pour "M Le magazine du Monde"
Il y a un peu plus de deux ans, j’ai travaillé le temps en sophrologie. Avant, les journées précédant les spectacles étaient pour moi inutiles. Je ne réussissais pas à aller déjeuner avec une copine, à me faire un ciné… Je me gardais au chaud pour aller jouer. Finalement, je me suis rendu compte que ne rien vivre avant d’aller jouer n’était pas bon. On ne se nourrit de rien. Depuis que je fais de la sophrologie, je réussis à passer une journée normale avant de me concentrer seulement deux heures avant de jouer. Ça m’a vraiment aidé.
Le cinéma, c’est beaucoup de moment où l’on ne joue pas. Comment le vivez-vous ?
Je suis hyperpatiente. Je me mets entre parenthèses. Je suis au service du film. Je me pose. Je discute. Je poste une photo sur Instagram et la relaie sur Facebook. Tout ça prend beaucoup de temps (rires). Je lis aussi. Je ne subis pas l’attente.
Etes-vous accro aux réseaux sociaux ?
Oui, et ça prend beaucoup trop de temps. Parfois, je me lance le défi de laisser mon téléphone dans le salon quand je vais me coucher. Et cela me permet de lire à nouveau.
Pensez-vous au temps qui passe ?
Je crois que ce n’est pas une question d’âge. C’est davantage le bilan que l’on fait à chaque étape. A 25 ans, je n’étais pas bien. A 30, j’avais mon spectacle, je savais mieux qui j’étais, j’avais un travail, je gagnais ma vie. Une vendeuse, qui devait avoir 30 ans et avec laquelle je travaillais dans une boutique quand j’avais 20 ans, m’avait dit : « Je récupère moins bien après une soirée, ma peau n’est plus celle que j’avais mais je ne regretterai jamais mes 20 ans ». Quand j’ai eu 30 ans, j’ai compris cette phrase.