Colère au Vietnam après la découverte de millions de poissons morts sur les plages
Colère au Vietnam après la découverte de millions de poissons morts sur les plages
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Une compagnie taïwanaise est accusée d’être à l’origine d’une fuite de produits toxiques.
Des Vietnamiens proposent contre le groupe taïwanais Formosa lors d'une manifestation le 1er mai 2016 à Hanoï. | HOANG DINH NAM / AFP
Le désastre écologique qui vient de provoquer le rejet de millions de poissons morts sur les plages du Vietnam fait des vagues à Hanoï. L’affaire a pris un tour politique dans ce pays où la parole et l’expression de la colère sont habituellement muselées. Dimanche 1er mai, des centaines de personnes ont défilé dans les rues de la capitale pour protester contre la société taïwanaise accusée d’être à l’origine d’une fuite de produits toxiques qui a provoqué le carnage.
Cette compagnie, nommée Formosa, a construit une aciérie dans la province de Ha Tinh, dans le centre du pays. Des poissons morts, qui avaient commencé à être rejetés en masse sur les plages fin avril, ont été retrouvés sur quelque deux cents kilomètres de rivages, jusqu’au sud de l’ancienne capitale impériale de Hué et même dans la partie philippine de l’archipel des Spratleys, à Pag-asa…
Dimanche, les manifestants, qui marchaient dans le centre de Hanoï, ont défilé en brandissant des pancartes aux slogans sans ambiguïtés : « Formosa hors du Vietnam ! », « Si la mer meurt, on meurt ! », « Sauvez la mer ! » Une manifestation a également eu lieu dans le sud du Vietnam à Ho Chi Minh-Ville – ex-Saïgon.
« Punir avec sévérité »
L’enquête officielle, qui est en train d’être menée, avance l’hypothèse, selon les médias vietnamiens, qu’une conduite d’écoulement des eaux usées d’une longueur d’un kilomètre et demi aurait pu déverser des produits toxiques dans l’océan Pacifique. La réaction d’un responsable local de Formosa n’aura rien fait pour faire baisser la tension : « Les Vietnamiens doivent choisir s’ils préfèrent la pêche ou disposer d’une aciérie ultramoderne », a-t-il ingénument déclaré la semaine dernière. Le maladroit a été immédiatement renvoyé par son entreprise. La compagnie taïwanaise a ensuite présenté ses excuses et diligenté sa propre enquête.
L’affaire tombe mal pour un gouvernement vietnamien encore en phase de rodage : le 12e congrès du Parti communiste vietnamien (PCV), qui s’est tenu en janvier, a maintenu dans ses fonctions de secrétaire général du PCV le conservateur Nguyen Phu Trong. Mais il a aussi débouché sur la nomination d’un nouveau cabinet, dirigé par le nouveau premier ministre, Nguyen Xuan Phuc.
Ce dernier a promis de « punir avec sévérité » les coupables de ce désastre qui a affecté l’industrie de la pêche du centre Vietnam. La région dépend largement, sur le plan économique, des fermes d’élevage de crevettes, de poissons-chats ainsi que de la pêche au thon. En 2015, les exportations de produits de la mer vietnamiens se sont élevées à quelque 6 milliards de dollars (5,2 milliards d’euros). Le nouveau ministre de l’environnement, Tran Hong Ha, a admis, dans une interview au quotidien Tuoi Tre, que « la réponse gouvernementale à ce désastre environnemental a été lente ».
Une femme recueille des coquillages morts sur une plage de la province de Ha Tinh, le 27 avril 2016. | STR / AFP
300 tonnes de produits chimiques
Selon des journaux vietnamiens, la compagnie Formosa aurait récemment importé 300 tonnes de produits chimiques pour nettoyer la fameuse conduite d’évacuation des eaux usées. Mais le département de la protection de l’environnement a indiqué qu’il n’était pas au courant. Les articles publiés dans la presse officielle n’ont pas précisé si ces produits ont bel et bien été utilisés.
Des blogueurs vietnamiens rappellent par ailleurs que la société Formosa a déjà, dans un passé récent, été au centre d’une autre controverse. Il y a deux ans, lorsque la présence d’une plate-forme de forage chinoise dans les eaux contestées entre Vietnam et Chine avait provoqué des émeutes antichinoises dans le sud du pays, des ouvriers de Formosa en avaient profité pour s’en prendre à leurs contremaîtres chinois.
Selon le rédacteur d’un blog très connu au Vietnam, Anh Ba Sam, le gouvernement a attribué à Formosa une licence d’exploitation de soixante-dix ans sur les 3 300 hectares de terrain où a été construite l’aciérie, ainsi qu’une usine électrique et un port. En mars de l’année dernière, des médias vietnamiens avaient fait part des inquiétudes de responsables d’un audit gouvernemental à propos des clauses très avantageuses accordées à Formosa. Mais l’ancien premier ministre Nguyen Tan Dung avait confirmé le bien-fondé des accords. La polémique n’est sans doute pas terminée.