Marine Le Pen. | GIUSEPPE CACACE / AFP

Marine Le Pen a dû essuyer, dimanche 1er mai, un nouvel affront paternel – et c’est certainement l’inverse du point de vue de son père, Jean-Marie Le Pen. Exclu du Front national en août 2015, le fondateur du parti d’extrême droite a maintenu son traditionnel hommage à Jeanne d’Arc, place des Pyramides, dans le 1er arrondissement de Paris, tandis que sa fille organisait un « banquet patriote », à La Villette. À la tribune, le père a fustigé la stratégie politique de sa fille, lui prédisant une défaite « au second tour de la présidentielle et peut-être même au premier ». Comment un père peut-il être aussi intransigeant et ouvertement opposée à sa fille ?

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« J’entends souvent des femmes se plaindre de ce que leur père manifeste à leur égard, constate le psychiatre et psychologue, Alain Braconnier, auteur de Les filles et les pères (Ed. Odile Jacob, 2007). Faute de cette reconnaissance paternelle, la fille éprouve une grande déception, lorsque cela ne vire pas à la colère et à la révolte. »

Une fille cherche-t-elle toujours l’approbation de son père ?

« Les relations père-fille sont souvent chargées de malentendus et surtout d’ambivalence, écrit le psychosociologue et écrivain Jacques Salomé dans une contribution sur le site Signes & Sens où il explore le complexe d’Electre, le complexe d’Œdipe au féminin. A la complicité et la bienveillance paternelle des premières années, vient s’ajouter la dimension sexuée au cours de laquelle, aux abords de l’adolescence, on assiste à un éloignement physique entre le père et la fille jusqu’ici fusionnel. « À partir de là peut naître toute une succession d’affrontements et d’escarmouches où tout sera utilisé pour entretenir le conflit, c’est-à-dire la mise à distance : résultats scolaires jugés insuffisants, vêture trop ou pas assez, coiffure qui ne va jamais, soins du corps critiqués, contrôle des fréquentations et des sorties, oppositions politiques et idéologiques, explique M. Salomé. Les relations père-fille sont chargées de trop d’affects pour rester trop longtemps paisibles. »

Pourtant, une fille attend de son père une reconnaissance en tant que fillette, puis en tant que jeune fille et de femme. « Au moment de l’adolescence, elle escompte que son père ne s’installe pas dans une posture de refus », observe Alain Braconnier, mais au contraire, qu’il encourage et respecte la femme qu’elle est en train de devenir. « A cette période de son existence, une adolescente est sensible à la bonne distance qu’il y a avec son père : trop proche, c’est trop, avec un risque incestuel ; mais pas assez, ce n’est pas assez (…). Il importe que la respectabilité soit réciproque. » Outre l’amour et l’estime que se porte ce duo, « il y a aussi dans la relation père-fille, une attente de complémentarité, considère M. Braconnier. L’autre m’apporte ce que je considère ne pas avoir, ce qui me fait défaut ». Et, dans ce prolongement, les filles cherchent souvent à accomplir ce que leur père admire. Ou ce qui suscitera leur admiration.

A quoi tient le conflit père-fille ?

« Une fille attend de son père du respect, des valeurs et de l’idéalité. En retour, elle n’aime pas qu’on vienne à le critiquer », constate M. Braconnier. Mais une rupture peut avoir lieu, en témoigne le « Je ne ferai plus jamais de politique avec mon père » de Marine Le Pen. Louis Aliot, compagnon de la présidente frontiste, évoquait d’ailleurs sur BFM Politique, le 1er mai en soirée, « un divorce définitif » entre le père et la fille Le Pen. « Plus aujourd’hui que par le passé, il y a une rivalité plus frontale dans notre société entre père et fille, estime M. Braconnier et d’autant plus exacerbée si le père ne sait pas passer la main, au sein d’une entreprise familiale par exemple. Ou en politique, bien évidemment.

Aujourd’hui, il arrive donc que la fille empiète sur les plate-bandes paternelles. « Par le passé, c’était moins frontal parce que la fille ne revendiquait ni n’accédait aux mêmes positions sociales, professionnelles ou politiques. Comme l’a écrit le psychanalyste Donald W. Winnicott, l’inventeur du doudou, Grandir est un acte agressif. C’est vrai pour les sociétés comme pour les individus, et aussi pour les filles et leur père ! », souligne le psychologue pour qui la rivalité fait partie du développement humain.

« Après, tout cela dépend du père, de la façon dont il accepte – ou non – cette rivalité. Mais c’est avant tout une question de génération, ajoute M. Braconnier. Aujourd’hui, les pères les plus âgés ont été élevés dans un contexte où une fille était un enfant qui ne pouvait pas assurer la relève en occupant une place aussi importante que la leur. »

La réconciliation est-elle possible et à quelles conditions ?

Les relations père-fille peuvent être tumultueuses. « La fille, comme le père, ne saisissent pas toujours les enjeux qui les traversent et les bouleversent. Ils tombent trop facilement dans des accusations mutuelles, pour l’une dans le ressentiment de la dévalorisation, et pour l’autre, de surenchérir dans la plainte de se sentir incompris, explique Jacques Salomé. Et, pour M. Braconnier, un conflit à l’âge adulte prend indéniablement sa source bien plus en amont, à l’âge adolescent ou enfant. Et se réactive à l’occasion de situations qui le suscitent.

Mais une fille comme un père attend toujours la réconciliation, qui intervient souvent en fin de vie. « C’est une relation d’amour au sens humain, et elle peut être source de grandes déceptions comme de grandes surprises, de rupture et de réconciliation !, indique M.Braconnier. C’est d’ailleurs avec le parent avec qui l’enfant a le plus d’affinités et qui lui ressemble le plus au niveau du caractère que le conflit est le plus fort. » Ces mêmes traits de caractère permettront aussi, avec le temps, de faciliter la réconciliation. Mais le pire qu’il puisse arriver à un père et sa fille, selon le psychologue, est l’indifférent mutuelle. « Il n’y a certes pas de zone de conflit, mais il y a beaucoup de souffrances. »