Lesbos, prison à ciel ouvert pour réfugiés

« Nous sommes à l’aube d’une catastrophe humanitaire. Il y aura des morts avant la fin de l’été », prévient Christian Assaf, de retour de trois jours dans les camps Grecs. Président et rapporteur de la mission parlementaire sur les flux migratoires en Europe, le député PS de l’Hérault s’est rendu à Idomeni, Nea Kavala et Diavata, dans le nord du pays, avant de visiter les campements d’Athènes entre le 18 et le 20 avril.

Avec le député socialiste des Hauts-de-Seine, Jean-Marc Germain, qui travaille sur le sujet pour la Commission des affaires étrangères, et quatre députés de sa mission, M. Assaf a pu constater les conditions sanitaires dramatiques dans lesquelles survivent les réfugiés bloqués en Grèce, et l’impossibilité de sortir de cette situation si on laisse le gouvernement d’Alexis Tsipras seul en première ligne, avec ses moyens limités.

« Les camps que nous avons vus au nord du pays comptent 40 % d’enfants, dont beaucoup sont très jeunes. Un médecin de la Croix rouge, visiblement inquiet, nous a déjà alertés sur des cas de malaria et de dysenterie. La situation sanitaire est critique, la qualité de l’eau inquiétante » rappelle M. Assaf, qui craint la montée prochaine des températures. D’autant que tous ces réfugiés ne sont là « que » depuis trois semaines et risquent d’y rester longtemps si l’Europe ne trouve pas le moyen d’aider massivement la Grèce à traiter les demandes d’asile.

Distribution alimentaire pour des migrants à Idomeni, en Grèce. | Gregorio Borgia / AP

« Aujourd’hui, tout passe par les services Grecs. Or ils sont dépassés. Avant personne ne demandait l’asile là, aujourd’hui tous les migrants déposent une demande, même s’ils souhaitent être relocalisés ailleurs en Europe c’est la procédure. Or, on ne peut être enregistré qu’à Athènes ou Thessalonique et dans ce dernier lieu, c’est 25 dossiers par jour au maximum quand plus de 50 000 personnes sont bloquées dans le pays », s’inquiète Jean-Marc Germain.

Toute la journée, les migrants tentent donc en vain de se connecter sur Skype pour décrocher un rendez-vous. « Il faut que l’Europe débloque une somme d’argent qui permette à la Grèce d’augmenter très vite le traitement des demandes d’asile », reprend Christian Assaf. À l’heure actuelle, ce blocage à l’enregistrement par les Grecs empêche même le travail de relocalisation. Ainsi, les agents de l’OFPRA qui sont en mission là-bas pour ramener quelques-uns des 30 000 migrants que la France s’est engagée à recevoir avant fin 2017, sont eux aussi tributaires du goulet d’étranglement.

« L’Europe ne peut pas les abandonner comme ça »

Pour compléter cette visite de terrain, Jean-Marc Germain s’est rendu dans le hotspot de Chios, une des îles les plus proches de la Turquie, afin d’observer les effets de l’accord cosigné par l’UE et le pays d’Erdogan qui autorise le renvoi des demandeurs d’asile arrivés en Europe après le 20 mars.

« J’ai pu visiter le hotspot qui avait été organisé dans la précipitation juste avant la signature de l’accord, mais évidemment, ne fonctionne plus depuis. Dans l’île, où je suis allé mercredi matin, 18 migrants étaient arrivés la veille et 80 deux jours auparavant », rappelle le député des Hauts-de-Seine qui a pu s’entretenir avec des détenus exaspérés. « Un Malien et un Soudanais m’ont confié leur désarroi, explique-t-il. Tous deux ont vraiment l’impression de subir une double peine. Ils sont arrivés là après bien des péripéties, vont non seulement être renvoyés en Turquie mais en plus vont se retrouver tout en bas de la liste des relocalisés. Face à ce traitement d’hommes et de femmes, je partage tout à fait la décision de l’OFPRA de ne pas venir dans les îles grecques travailler à la mise en œuvre de cet accord », rappelle le député frondeur.

M. Germain a été marqué par le manque absolu d’informations des migrants. « Si les humanitaires sont très nombreux à Idomeni, sur un des stades de l’ancien site olympique, dans Athènes, il n’y a personne. Les migrants sont livrés à eux-mêmes sans informations, sans présence de personne pour les guider. À un moment je me suis retrouvé seul avec eux et j’ai ressenti une vraie agressivité vis-à-vis de moi. Certains humanitaires nous avaient auparavant fait part du même constat parce que ces gens ont un cruel besoin d’information », martèle l’homme politique, « l’Europe ne peut pas les abandonner comme ça ».

Et ce n’est pas qu’à Athènes. A Diavata, la mission a rencontré un Syrien parlant un excellent français. « Ce professeur de français d’Alep était désespéré. Il s’est échoué là avec sa famille. Un de ses jeunes enfants souffrait de fièvres et n’avait accès à aucun médecin. En dépit de tous ses efforts, lui ne parvenait même pas à prendre un rendez-vous par Skype pour déposer sa demande d’asile. Sa situation état difficile, mais c’est lorsque nous lui avons demandé s’il souhaitait venir en France que nous avons ressenti la profondeur de son désarroi. Il voulait aller n’importe où, mais ne plus rester dans le camp », observe un des parlementaires, encore ému par cette image. Or, comme ce Syrien francophile n’était pas passé par l’enregistrement auprès de l’asile grec, l’OFPRA ne pouvait même pas avoir connaissance de son dossier et encore moins le sélectionner pour une relocalisation rapide en France.

La délégation de ces parlementaires pourtant habitués à la détresse pour avoir fait plusieurs déplacements sur la crise migratoire, a aussi été particulièrement sensible au geste d’une petite Syrienne d’Idomeni. « Elle avait 5 ou 6 ans. Elle est venue vers nous et nous a tous embrassés. On ressentait tellement qu’elle nous demandait simplement de ne pas l’oublier là, que j’en suis encore ému en le racontant », poursuit Christian Assaf.

Ce dernier, qui s’intéresse aux flux autant qu’aux migrants bloqués à leur entrée en Europe, souhaiterait la mise en place de voies officielles d’entrées en Europe, « un dispositif légal », précise-t-il, « parce que l’Europe est la première zone économique au monde et qu’il est scandaleux qu’elle n’ait pas mis en place ses propres ferrys humanitaires pour sauver ces gens », insiste-t-il, oubliant les arguments habituels des politiques plus calculateurs que proches des réalités du terrain. « Et qu’on arrête de ne nous opposer l’état de l’opinion”, insiste le député de l’Hérault, car je ne pense vraiment pas que l’opinion acceptera cet été qu’une destination de vacances à 3 heures de Paris devienne un cimetière à ciel ouvert pour des réfugiés ».