Edward Loure, le masaï qui défend par la loi ses terres ancestrales de Tanzanie
Edward Loure, le masaï qui défend par la loi ses terres ancestrales de Tanzanie
Par Véronique Mistiaen
Le chef tribal a été récompensé, le 18 avril à San Francisco, pour son action en faveur de la création d’un mécanisme juridique visant à préserver d’immenses plaines de la vallée du Rift.
Des femmes masaï en octobre 2010, à environ 100 km à l'ouest d'Arusha. | TONY KARUMBA / AFP
« Notre terre est tout pour nous. Si nous n’avons pas de pâturage, nous n’aurons pas nos vaches. Et sans nos vaches, nous ne pouvons pas survivre », affirme Edward Loure, chef tribal masaï et militant des droits fonciers des peuples autochtones en Tanzanie. Comme les autres tribus masaïs, sa communauté semi-nomade élève du bétail en harmonie avec la nature environnante dans les vastes prairies du nord du pays depuis des générations.
Cet homme a reçu le 18 avril à San Francisco le prix Goldman pour l’environnement 2016 (sorte de « Nobel » de l’écologie) pour l’Afrique. Il a été récompensé pour son action en faveur de la création d’un mécanisme juridique visant à préserver de grandes étendues de terres ancestrales dans la vallée du Rift, afin de protéger la faune sauvage ainsi qu’un mode de vie traditionnel. C’est la première fois que le rôle des tribus dans la conservation en Tanzanie est reconnu, c’est un modèle à suivre.
Depuis des siècles, parfois des millénaires
Aujourd’hui âgé d’une quarantaine d’années, Edward Loure a grandi sur les plaines de Simanjiro qui s’étendent sur 2,8 millions d’hectares de prairies au nord de la Tanzanie, où des communautés vivant d’élevage, de chasse et de cueillette cohabitent avec les espèces migratrices depuis des siècles, parfois des millénaires.
Figurant parmi les plus beaux paysages du monde, la savane et les herbages qui couvrent cette partie du pays abritent une faune abondante et diverse : gazelles, éléphants, gnous, zèbres, impalas et autres animaux entretiennent l’équilibre de l’écosystème. « La région est également enrichie par nos cultures variées et ancestrales, expliquait Edward Loure la semaine dernière sur Skype depuis Dar es Salaam. Nous sommes dépendants de nos terres, qui ont façonné nos cultures et notre mode de vie. »
Cependant, leur mode de vie traditionnel est compromis depuis les années 1950 et la création par le gouvernement tanzanien de parcs nationaux, qui ont déplacé des milliers d’autochtones et menacent la faune en détruisant des couloirs migratoires. La situation s’est aggravée ces dernières années, depuis que l’Etat vend des terres ancestrales à des organisateurs de parties de chasse et de safaris, ainsi qu’à des « voleurs de terres », des citadins qui utilisent les pâturages tribaux pour faire de l’élevage intensif illégal. Les Hadzabe, qui vivraient dans cette région depuis plus de 40 000 ans et font partie des rares populations de chasseurs-cueilleurs subsistant sur Terre, ne sont plus que 1 200. Sans droits fonciers, ces communautés sont vouées à disparaître.
Mission de défendre les droits fonciers
Motivé par son expérience personnelle – sa communauté a été déplacée en 1970 lorsque le parc national de Tarangire a été créé – Edward Loure s’est donné pour mission de défendre les droits fonciers des peuples autochtones. Il a rejoint puis dirigé l’Ujamaa Community Resource Team (UCRT), l’une des premières ONG locales en Tanzanie, qui milite pour le développement durable et les droits fonciers des communautés depuis 20 ans.
L’UCRT s’appuyait depuis de nombreuses années sur le Village Land Act (Loi sur le foncier villageois) pour garantir aux villages locaux la propriété de leurs terres. Cet outil puissant, assez rare en Afrique, présente toutefois l’inconvénient d’être lent et coûteux, si bien qu’il se prête à la corruption et aux jeux politiques. Par conséquent, de nombreuses zones protégées par la loi ont tout de même fini par être vendues pour l’exploitation agricole et d’autres activités, ce qui a considérablement réduit les possibilités des Masaïs pour faire paître leurs troupeaux et les sources de nourriture des animaux sauvages.
A la recherche d’un meilleur moyen de sauvegarder la propriété des terres, Edward Loure et l’équipe de l’UCRT ont trouvé une chance à saisir dans la forte culture commune des tribus. Ils ont identifié un mécanisme juridique innovant appelé Certificates of Customary Rights Occupancy (certificats d’occupation coutumière), qui confère des droits fonciers indivisibles à une communauté entière, contrairement à l’approche conventionnelle consistant à attribuer des terrains à des individus. Sous la direction d’Edward Loure, l’UCRT a utilisé pour la première fois le Village Land Act pour créer de tels certificats, qui gardent les tour-opérateurs à distance et empêchent l’exploitation agricole des terres ancestrales.
Zones de conservation
Pour établir ces certificats, Edward Loure et son équipe collaborent avec les tribus locales et assurent la liaison avec le gouvernement tanzanien pour recenser et classer les utilisations principales des terres (zones de pâturage, points d’eau, routes migratoires de la faune sauvage ou zones scolaires et communautaires) et définir les zones de conservation. Les territoires protégés sont soumis à des règlements, des plans de gestion et contrôlés par le comité de direction de l’utilisation des terrains ruraux.
« Le certificat d’occupation coutumière constitue un formidable outil pour protéger les zones de pâturage collectives des menaces posées par l’augmentation de la densité démographique et le manque d’initiatives locales, souligne Matt Brown, directeur de la conservation pour l’Afrique au sein de l’ONG The Nature Conservancy. Si ces zones restent ouvertes au pâturage alors les écosystèmes résistent mieux et les animaux sauvages ont plus de facilité à circuler à l’intérieur et en dehors des parcs nationaux non clôturés. »
Un premier certificat a été délivré par les autorités tanzaniennes en 2011 aux Hadzabe, puis un autre en 2014 à une tribu masaï du district de Moduli. Depuis, plus de 90 000 hectares de prairies du nord ont été sauvegardés grâce à 16 certificats. Avec l’aide de partenaires nationaux et internationaux, Edward Loure et l’UCRT cherchent désormais à reproduire ce modèle dans tout le pays. Au total, quelque 283 000 hectares de pâturages sont destinés à être protégés d’ici la fin de l’année.
« Moins de litiges »
Selon Edward Loure, une fois leurs droits fonciers garantis juridiquement, les communautés peuvent accéder à leurs ressources naturelles, les gérer et en bénéficier : « Le fait d’avoir un plan et un calendrier d’utilisation des terres en bonne et due forme aide nos animaux à disposer de pâturages sûrs en toute saison, si bien qu’ils sont en meilleure santé. Et quand nos animaux sont en meilleure santé, nos communautés le sont aussi et nous avons moins de litiges. »
Certaines communautés tirent des revenus supplémentaires des crédits carbone et d’un tourisme culturel géré attentivement. Ainsi, certains villages hadzabe ont reçu à ce jour 70 000 dollars de la part de Carbon Tanzania en compensation du carbone enfermé dans leurs forêts, un montant appréciable dans un pays où le PIB par habitant ne dépasse pas 600 dollars.
La protection des terres ancestrales aide à préserver le mode de vie des tribus traditionnelles, tout en favorisant la conservation de la biodiversité grâce à la création de corridors écologiques, à la préservation des routes migratoires traversant les terrains agricoles et à la réduction des conflits entre les hommes et les animaux.
« Un travail fantastique »
« L’UCRT, sous la direction de Monsieur Loure, a accompli un travail fantastique en expérimentant et en validant cette approche qui profite tant à la population qu’à la nature dans l’environnement en mutation du nord de la Tanzanie », se félicite Matt Brown.
Ces concepts de droits fonciers collectifs, inventés en Tanzanie, pourraient tout à fait avoir des répercussions à l’échelle mondiale, ajoute-t-il : « L’idée d’une nécessité de défendre les droits fonciers collectifs des populations locales et de les faire inscrire officiellement au niveau national peut être reproduite et serait utile dans d’autres pays. »
Critères pour un safari honnête
Les conseils d’Edward Loure pour trouver un organisateur de safaris honnête et ayant des pratiques loyales :
- L’adresse physique et la structure sont dans le pays ;
- L’organisateur a des relations avec la population locale ;
- Demandez des exemples de son travail sur le terrain auprès des communautés ;
- Le tour-opérateur a une bonne réputation internationale ;
- Vérifiez par recoupement l’exactitude des informations (ne croyez pas tout ce que vous lisez sur Internet).
Voici quelques tour-opérateurs dignes de confiance : Dorobo Tours, Mark Thornton Safaris, Tarangire Safari Lodge, Sopa Lodge et Elewana Collection Moivaro Lodge.
Traduction : Virginie Bordeaux
Veronique Mistiaen est une journaliste britannique spécialisée dans les questions de développement, des droits humains et de l’environnement. Son projet complet (en anglais) sur les « reines mères » du Ghana est consultable ici. Le travail réalisé pour cet article a été financé par une bourse de l’European Journalism Centre.