François Pinault : « Un musée ne peut être un lieu où on se contente de montrer »
François Pinault : « Un musée ne peut être un lieu où on se contente de montrer »
Propos recueillis par Harry Bellet
Pour « Le Monde », l’homme d’affaires détaille les contours du musée qu’il compte ouvrir fin 2018, à la Bourse de commerce de Paris.
François Pinault a annoncé, mercredi 27 avril, l’implantation de sa fondation d’art contemporain à la Bourse de commerce de Paris. Pour Le Monde, l’homme d’affaires détaille les contours de ce nouveau musée, qui devrait ouvrir fin 2018.
François Pinault à Paris, le 27 avril. | Yann Rabanier pour Le Monde
Pourquoi Paris ?
Quand, en 2005, j’ai fait le choix d’installer l’activité publique de ma collection à Venise, j’indiquais déjà que, si un jour les circonstances le permettaient, je serais attaché de toutes mes forces à m’investir dans la réalisation d’un projet en France. C’est mon pays. J’y suis attaché, je suis convaincu qu’il doit toujours jouer sur la scène internationale un rôle culturel majeur et qu’il faut en soutenir le rayonnement. Aujourd’hui, ce projet est réalisable. La maire de Paris, Anne Hidalgo, m’a proposé de m’intéresser à la Bourse de commerce, formidable bâtiment historique, au cœur de Paris, pour y installer ma collection. J’ai accepté cette proposition, et c’est avec joie que je m’engage dans ce projet. Cela ne signifie pas, je tiens à le préciser, que je me désengage de Venise. Paris et Venise constitueront le cœur d’un projet à dimension européenne, enrichi également par des expositions temporaires. C’est ainsi que, dès la fin de cette année, un ensemble important d’œuvres de ma collection sera présenté au Folkwang Museum à Essen.
Comment s’est noué le contact avec Anne Hidalgo ?
La maire de Paris est, vous le savez, très attachée à la requalification du quartier des Halles et, dans le même temps, attentive à tout ce qui peut concourir au rayonnement de la capitale. C’est animée par cette double préoccupation qu’elle m’a proposé de réfléchir à la création d’un site de présentation de ma collection à la Bourse de commerce. Je dois dire que j’ai été très sensible à son enthousiasme et à son volontarisme. J’espère que ce projet pourra devenir celui de la municipalité tout entière et être partagé par toutes les composantes du Conseil de Paris. C’est, en effet, un projet pour Paris qui doit rassembler tous ceux qui aiment cette ville.
La Bourse du commerce, sur le forum des Halles à Paris. | PIERRE VERDY / AFP
Pourquoi la Bourse plutôt qu’un des autres sites de l’appel à projets lancé par la mairie en 2014 ?
J’ai été convaincu par la localisation de ce bâtiment au cœur de Paris, dans un quartier, celui des Halles, dont la Ville de Paris a engagé la requalification, desservi par le principal carrefour de voies de communication de la région parisienne, à proximité immédiate de deux institutions culturelles majeures, le Centre Pompidou et le Musée du Louvre. C’est donc un site sur lequel les occasions de rencontrer un public large et divers sont optimales. J’aime la centralité de ce bâtiment, qui n’est pas sans rappeler celle de mes deux musées vénitiens, amarrés l’un et l’autre le long du Grand Canal. Par ailleurs, la Bourse de Commerce n’est pas un bâtiment banal. Témoin, par sa forme circulaire, des architectures utopiques du XVIIIe siècle, il a bénéficié au XIXe d’aménagements, notamment la couverture de la rotonde centrale par une charpente métallique, contemporaine du Pont des arts, qui témoignent du génie de l’industrie française au siècle d’Haussmann. Ce bâtiment, bien que doté d’une identité architecturale très forte et légitimement protégé en plusieurs de ses parties au titre des Monuments historiques, peut parfaitement s’adapter aux fonctions d’un musée d’art contemporain. J’espère qu’il s’y produira ce miracle d’harmonie qu’on constate à Venise au Palazzo Grassi et à la Pointe de la Douane.
Un lieu de plus, mais pour quoi faire ?
Un nouvel espace pour y présenter ma collection dont tout le monde connaît l’importance, mais aussi pour y susciter de nombreuses occasions pour les artistes d’aujourd’hui de créer des œuvres et de faire le point sur leur travail. Je crois beaucoup à la force du compagnonnage entre un grand musée d’art contemporain et les artistes vivants. Un musée ne peut être un lieu où on se contente de montrer. C’est aussi un espace pour faire avancer les choses. Je suis très attaché à ce que ce lieu travaille en étroite collaboration avec les autres institutions, privées et publiques, de Paris au sens large du terme, qui se consacrent déjà à la diffusion de la création contemporaine. J’ajouterai que ce musée doit être tout particulièrement ouvert à toutes les formes d’interdisciplinarité et qu’on doit y apporter un soin tout particulier au travail de médiation, de façon à permettre à la création de notre temps de devenir plus encore l’horizon de tous.
Qui dirigera le lieu ?
Je présiderai personnellement ce musée. C’est pour moi un engagement passionné. Par ailleurs, un conseil d’orientation qui définira les grandes orientations culturelles de l’établissement sera créé. J’en confierai la présidence à Jean-Jacques Aillagon. Il m’a également semblé pertinent que la direction de Paris soit confiée à la même personnalité qui dirige Venise de façon à assurer une totale cohérence entre les deux sites. C’est donc Martin Bethenod qui dirigera les deux pôles. Il me semble essentiel que nous sachions susciter, de façon originale, un complexe international de lieux culturels, tout en garantissant à chacune de ses composantes une véritable identité. C’est aujourd’hui le cas à Venise, où les expositions se répartissent entre la Douane et Grassi en fonction des caractéristiques de chacun des deux sites et de ses performances techniques propres.
Combien de lieux pensez-vous encore ouvrir de par le monde ? On parle de Los Angeles…
Je crois à la force des institutions en réseau. Nous vivons dans un monde ouvert, où tout va très vite. Les informations, les expériences, les initiatives, la création doivent circuler rapidement et alimenter tous les débats sur le monde qui est le nôtre. On ne peut plus contenir les œuvres dans des enclos trop isolés. Elles doivent susciter des échos, rencontrer des regards divers, démontrer que la mondialisation n’est pas qu’une fatalité et qu’elle est également une chance, une chance pour la culture, une chance pour l’esprit critique, un remède contre les préjugés, les obscurantismes et les fanatismes. Dans deux ans, Paris s’ajoutera à Venise. Peut-être qu’un jour cette constellation verra s’allumer de nouvelles étoiles. J’ai été sollicité par de grandes métropoles, dont Los Angeles. Pourquoi pas un jour ? Il ne faut jamais dire jamais.