La chute cruelle d’Isaac Zida, icône de la transition au Burkina Faso
La chute cruelle d’Isaac Zida, icône de la transition au Burkina Faso
Par Seidik Abba (chroniqueur Le Monde Afrique)
L’ex-premier ministre et général est attendu de pied ferme par la justice de son pays, où s’est effondrée sa stratégie de reconquête par les urnes en 2020.
C’est par un SMS courtois mais ferme que le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré a demandé à l’ancien premier ministre de transition, Yacouba Isaac Zida, de rentrer au pays au terme de sa « permission », échue le 19 février 2016.
Le général Zida y a répondu, comme s’il allait se plier aux ordres du chef de l’Etat burkinabé, qui est aussi le chef suprême des armées. Mais, trois semaines après cet échange entre les deux hommes, l’ancien premier ministre n’est toujours pas revenu à Ouagadougou. Il vit désormais entre les Etats-Unis et le Canada, où il avait mis sa famille à l’abri pendant la transition militaire.
De passage à Paris les 4 et 5 avril pour sa première visite officielle, le président Kaboré a exhorté une fois encore l’ex-premier ministre à revenir au bercail, l’appelant à être digne des prestigieuses fonctions qui furent les siennes. « Je pense, a-t-il expliqué au Monde, qu’il rentrera de lui-même au Burkina Faso car, quand on assume des responsabilités à un certain niveau, il faut savoir faire face à sa propre histoire. » Le moins que l’on puisse dire est que l’argument n’a pas fait mouche !
Rancœurs et dossiers
En réalité, Yacouba Isaac Zida traîne les pieds pour revenir parmi les siens parce qu’il est attendu sur plusieurs dossiers de la transition militaro-civile qu’il a codirigée pendant un an avec le président Michel Kafando. La justice est déjà saisie de plusieurs affaires dans lesquelles est cité le général.
Il devra, notamment, s’expliquer sur la gestion opaque d’un fonds 1,3 milliard de francs CFA (près de 2 millions d’euros) qu’il a créé sous le chapitre « budget militaire » et qu’il a domicilié dans une banque de la place avec comme donneur d’ordre principal le commandant Théophile Nikiéma, l’un de ses fidèles.
L’ancien premier ministre devrait également rendre des comptes sur l’acquisition controversée par son épouse, Rehanata Kaboré, et lui-même d’un lot de parcelles dans le quartier chic de Ouaga 2000, auquel ils ont officiellement renoncé le 9 avril.
Quelle chute cruelle pour celui qui était, il n’y a pas si longtemps, perçu comme le héros d’une transition exemplaire ! Bien que général de son état, l’ancien premier ministre ne pourra pas compter, dans l’épreuve qu’il traverse, sur le soutien de l’armée. Ni la haute hiérarchie, ni la troupe. Car l’état-major continue d’instruire contre lui un procès en illégitimité, estimant qu’il a usurpé son grade de général de division. Les hommes de rang, eux, se souviennent de lui tantôt comme le fossoyeur du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), tantôt comme celui qui n’a rien entrepris, lorsqu’il était au pouvoir, pour améliorer les conditions de la profession militaire.
Guerre froide avec Guillaume Soro
Dans la tourmente qu’il traverse, Isaac Zida ne pourra pas non plus compter sur le soutien du président de l’Assemblée nationale ivoirienne Guillaume Soro, son ami de toujours. Jeune officier subalterne au RSP, Zida avait été chargé, en 2002, par le président Blaise Compaoré, d’assurer la liaison avec les Forces nouvelles (FN), rébellion armée ivoirienne dirigée par un certain Guillaume Soro.
Il convoyait alors du matériel militaire aux FN et participait à la formation des rebelles. M. Zida s’occupait aussi de l’assistance logistique aux chefs rebelles pendant leur retraite dans les villas d’Etat à Ouaga 2000. Entre les deux hommes est ainsi née une relation de confiance, voire un pacte de loyauté, comme il put en exister entre braqueurs. En octobre 2014, lorsque l’insurrection populaire balaie Blaise Compaoré et l’oblige à se réfugier en Côte d’Ivoire, Isaac l’aide à quitter le pays puis, dans un retournement spectaculaire, exige du Maroc, où il s’est réfugié, l’extradition de son ex-mentor.
Guillaume Soro, lui, a fait le choix inverse en décidant de ne jamais laisser tomber « le grand frère Blaise ». Au nom de l’amitié fidèle et de « la morale des hommes d’honneur ». D’abord larvée, la mésentente entre M. Zida et M. Soro a éclaté au grand jour lors de la tentative de coup d’Etat du 16 septembre 2015 menée par le général Gilbert Diendéré.
Une fois le coup déjoué, pensant y trouver une excellente occasion pour « liquider », au moins politiquement, son ami d’hier, l’ex-premier ministre de transition affirme qu’un enregistrement présenté comme un échange téléphonique entre Guillaume Soro et l’ancien ministre des affaires étrangères Djibrill Bassolé est « bel et bien authentique ». Plus tard, Isaac Zida aurait manœuvré pour le lancement, le 8 janvier 2016, d’un mandat d’arrêt international contre Guillaume Soro, sans que la justice militaire ait pu en référer au président Roch Marc Christian Kaboré, également ministre de la défense.
Passeport diplomatique et quelques relais
La réconciliation entre les deux ex-amis est dès lors devenue impossible. Mais ils gardent un point commun : chacun, dans son pays, a des visées sur la présidentielle de 2020.
A la fin de la transition, le général Zida, 50 ans, a beaucoup consulté. Il a ensuite élaboré son agenda avec un objectif clair : revenir aux affaires par les urnes en 2020. Comme avant lui le général Amadou Toumani Touré au Mali en 2002 ou John Jerry Rawlings au Ghana en 1992. Cette stratégie de retour reposait sur un certain nombre d’acquis, dont les dividendes de la gestion de la transition de 2014-2015, citée désormais comme référence sur le continent africain.
Isaac Zida comptait aussi mettre au service de son ambition le trésor de guerre qu’il avait accumulé et les relais qu’il avait placés à des postes stratégiques du pouvoir avant son départ. Et il avait prévu d’attendre tranquillement 2020 en tant qu’ambassadeur du Burkina Faso à Washington. De la capitale américaine, il lui suffisait de traverser la frontière tous les week-ends pour retrouver sa famille au Canada.
Il en rêvait tellement qu’il a fait plaider sa cause auprès du président Kaboré par l’ambassadeur des Etats-Unis à Ouagadougou, Tulinabo Mushingi. M. Zida avait fait du poste d’ambassadeur à Washington une telle fixation qu’il avait convaincu le président Kafando de lui signer son décret de nomination hors conseil des ministres et sans aucune publicité. C’est ce forcing qui lui vaudra de ne pas devenir avant longtemps ambassadeur du Burkina Faso aux Etats-Unis.
Cet échec, cumulé à ses ennuis politico-judiciaires, a causé l’effondrement de tout l’échafaudage de sa stratégie de retour en 2020. Il a toutefois réussi à faire renouveler son passeport diplomatique avant de quitter le Burkina Faso et à conserver quelques relais dans les organisations de la société civile. On ne sait jamais. Au Burkina Faso, cela peut servir.
Seidik Abba est journaliste et écrivain. Il est l’auteur de Niger, la junte militaire et ses dix affaires secrètes (L’Harmattan, 2013).