La salle de concert Bataclan, à Paris, après les attentats du 13 novembre 2015. | Michel Euler/AP

La presse peut-elle publier des photographies de victimes d’attentats ? C’est la question qui était posée, vendredi 15 avril, à Alain Bourla, président de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, spécialisée dans les affaires de presse, après les plaintes de trois membres de la famille d’un jeune homme victime de l’attaque terroriste à l’intérieur du Bataclan, le 13 novembre 2015.

Les parents et le frère du jeune homme, ainsi que sa compagne qui s’est portée partie civile, estiment avoir subi un préjudice « personnel et propre » et dénoncent « une atteinte à la dignité de la personne » après la publication d’une photographie sur une double page dans une édition spéciale du magazine VSD parue le 17 novembre.

Les plaintes de la famille auprès du procureur de la République, qui a diligenté une enquête des policiers de la BRDP dès le 24 novembre, visaient Maya Vidon-White auteur de la photographie, Daniel Daum, le directeur de la publication de VSD, et Marc Dolisi, son rédacteur-en-chef.

Le visage ensanglanté non flouté

Cette photographie prise le 13 novembre près du Cirque d’Hiver par Maya Vidon-White, photographe free-lance depuis plus de vingt ans, diffusée par l’agence de presse américaine UPI avec une sous-traitance par une agence française MAXPPP, montre un homme à terre au milieu des pompiers qui l’ont enveloppé dans une couverture de survie.

Le visage ensanglanté n’étant pas flouté, sa famille a reconnu le jeune homme que le magazine présente dans la légende comme « un survivant du Bataclan ». « J’étais persuadée que la victime était toujours vivante à ce moment », a affirmé aux policiers Maya Vidon-White lors de son audition. Or, le jeune homme décédera quelques heures plus tard.

Dans sa plaidoirie, Me Vincent Tolédano, avocat de la photographe, a demandé au tribunal la nullité des poursuites engagées. Il a d’abord pointé, ironiquement, la célérité du tribunal qui a considéré qu’il convenait de juger l’affaire dans l’urgence, alors que le délai habituel est d’un an devant la 17e chambre.

Bataille de textes de loi

Puis, il a soulevé que le délit de diffusion d’une photographie sans l’accord de l’intéressé, créé par la loi Guigou du 15 juin 2000, destinée à protéger « les droits d’une personne qui risque de subir un deuxième traumatisme en voyant diffuser les images de la souffrance qu’elle a subie » ne pouvait s’appliquer en l’espèce, étant donné que la victime était décédée.

Selon la loi, a indiqué Me Tolédano, seule une victime vivante, et non le ministère public ou les proches d’une victime décédée, peut intenter des poursuites pénales.

De son côté, Me José-Michel Garcia, avocat de VSD, a demandé l’irrecevabilité de ces plaintes en s’appuyant sur la loi qui doit s’appliquer « dans sa vigueur et sa rigueur ». « Nous sommes là sur une interprétation de la loi, lui a répondu Me Aude Vives-Albertini, avocate de la famille Gomet. Il n’y a pas eu l’accord de la victime pour la publication de cette photo », a t-elle poursuivi alors que le procureur évoquait, de son côté, un « droit patrimonial » pour rejeter la demande de nullité et d’irrecevabilité de la défense.

Des agences photo absentes

« L’émotion ne doit pas faire de ce lieu un tribunal d’exception et le palais de justice n’est pas une cellule psychologique », a souligné Me Tolédano, en « s’inclinant » devant l’imagination du procureur et de son interprétation du droit patrimonial. Pour la défense, ce n’est pas la photo qui est en cause, mais sa diffusion par les agences de presse. Mais « où sont aujourd’hui les deux agences qui ont diffusé la photo ? », a demandé l’avocat.

Ce débat juridique ne sera pas tout de suite tranché. Après un délibéré d’une demi-heure, le président du tribunal a indiqué qu’il rendra, le 20 mai, un jugement statuant sur la légalité des poursuites. Si le tribunal prononce la nullité de la procédure, la famille pourra faire appel de cette décision ou saisir une autre juridiction civile. La veuve et les enfants du préfet Erignac assassiné le 6 février 1998 à Ajaccio, avaient ainsi fait condamner VSD et Paris Match, pour avoir publié la photographie du corps de son mari.