Sex Club "Killing Kittens" à Londres, en 2009. | Michael Grieve / Agence VU

Se compromettre, au lit ? A priori, l’idée repousse. On nous a tant répété que la sexualité incarnait le lieu de notre individualité la plus profonde, l’intime de l’intime et le Saint des saints, qu’on imagine mal comment elle pourrait s’accommoder de la moindre négociation – sous peine de dommages irréversibles. Et pourtant. Dès lors qu’on est deux, il faut bien composer. D’autant qu’en lieu de dommages irréversibles, on pourrait bien multiplier son champ des possibles. (Cela dit, si, vraiment, à vos yeux, la sexualité ne peut se satisfaire de rencontres à mi-chemin, vous êtes certainement prêt au grand saut : vers le célibat.)

Le sujet semble dramatique, parce que nous sommes encore dans le sacré. Nous ne perdrons pourtant pas notre âme ! Il est normal de devoir faire des compromis. Il serait statistiquement ahurissant de ne jamais devoir en faire : que l’autre ait toujours envie d’exactement la même chose que nous, au même moment – cela dit, ça se tente sur les premiers mois, où l’on voudrait 1) être imbriqués, 2) absolument constamment ; mais avec le temps vient la complexité.

Quitte à enfoncer quelques portes ouvertes, rappelons que si vous faites un compromis, vous acceptez, par définition, de sortir de votre zone de confort. La question repose plutôt sur l’entrée, ou pas, ou pour combien de temps, dans la zone d’inconfort. Car qu’on parle de pratiques sexuelles, de fréquence ou de fantasmes, on ne négocierait pas si on était d’accord. Or, on sera forcément, parfois, en désaccord, ou asynchrones.

Le compromis touche également à l’arbitraire : pourquoi telle personne va-t-elle apprécier de recevoir un sexto, mais détestera en envoyer… avant de peut-être se laisser convaincre ? Par chance, la plupart d’entre nous sommes plutôt raisonnables : calés en pleine zone grise, entre le sacrifice total et le conservatisme absolu.

Pourquoi se compromettre

La première question à se poser pour comprendre « jusqu’où » (se compromettre) passe par le « pourquoi » : que voulez-vous faire de votre vie sexuelle ? Qu’en attendez-vous ? Certains privilégieront le plaisir physique. D’autres lui ajouteront la connexion avec le ou la partenaire. On peut coucher pour se découvrir soi-même, ou pour découvrir le monde, ou pour découvrir un sens du divin. On peut forniquer pour le grand frisson. Seulement pour son orgasme personnel, ou seulement pour l’orgasme de ses partenaires. Peut-être cocherez-vous toutes les options ci-dessus et bien d’autres. Peut-être n’avez-vous au contraire aucun désir personnel.

A partir de ces réponses, vous allez pouvoir définir les contours – mouvants par définition – de la compromission. Si votre sexualité est de type masochiste, chaque sacrifice deviendra source de plaisir, mais si vous recherchez uniquement le confort, ce sera l’inverse. Si votre sexualité est une manière de communiquer avec un monothéisme, vous disposerez de moins d’options que si votre aspiration consiste à tout essayer, tout voir, tout comprendre.

On dit souvent que les émotions négatives sont hors limite de la négociation, mais la douleur, la honte, la peur, la culpabilité ou même l’humiliation ne sont pas mauvaises en soi. Elles ne sont mauvaises qu’en rapport avec 1) votre idée d’une sexualité épanouissante, 2) l’ampleur des concessions que vous êtes prêt/e à offrir. On peut aimer se faire insulter.

Peur sur la couette

Un bon compromis consiste en outre à savoir perdre du terrain, sans logique marchande : sauf limites absolues, vous entrez dans la conversation sexuelle avec l’idée que l’autre puisse modifier vos pratiques – ou vous divertir, ou vous offrir une tranche de rigolade. Vous acceptez d’être emmené-e là où vous n’iriez pas. Négocier ne signifie pas qu’on se retrouve à mi-chemin sur tous les sujets : cela implique de ne pas obtenir toujours ce qu’on espère – mais peut-être aussi, d’obtenir plus que prévu. Le résultat des négociations dépendra le plus souvent de l’importance que tel ou tel point recèle pour un des deux partenaires : le plus enthousiaste, dans le consentement ou le veto, obtiendra généralement gain de cause. Si je me fiche du menu, vous pouvez bien commander à ma place. Mais je choisirai peut-être les boissons.

Corollaire naturel du point précédent : le bon compromis s’opère entre personnes égales, honnêtes, non manipulatrices (qui n’instrumentaliseront ni les sentiments, ni leur enthousiasme). C’est-à-dire que si vous lâchez du lest sur une pratique, vous êtes d’accord pour lâcher du lest. Si vous laissez l’autre prendre l’initiative, c’est en reconnaissant votre indifférence. Si vous concédez la réalisation d’un fantasme qui vous laisse de marbre, vous affirmez votre désir de faire passer le plaisir de votre partenaire, momentanément, avant le vôtre (le partenaire fera la vaisselle).

Pour assumer et affirmer, il faut bien sûr verbaliser. Nous avons suffisamment parlé de communication ces dernières semaines, je vous épargne ce détour (profitez-en, ça ne durera pas). Un compromis implicite n’est pas un compromis. C’est un statu quo. On a parfaitement le droit de construire une sexualité de couple sur de simples statu quo. Mais le compromis permet des affinages intéressants.

Soyons réalistes : pensons au pire

Tout compromis porte en lui d’infinies potentialités de fiasco. C’est même pour cette raison qu’il est amusant. Ne vous engagez donc pas dans des négociations en imaginant contrôler leurs paramètres : impossible d’éviter les surprises et les dérapages, surtout quand il s’agit de tester de nouvelles pratiques. Si les deux partenaires sont débutants, vous allez tâtonner. Parfois, vous allez vous planter. C’est très bien : jamais on ne fera suffisamment l’éloge du mauvais sexe.

Acceptez enfin que vous ayez des limites, que votre sexualité ne fasse pas open-bar le mardi. Vous n’avez rien à justifier. Vous avez le droit de garder le silence. Si vous êtes allergique à l’amour le vendredi, ou que vous haïssez la couleur rouge, si nous touchons là quelque chose qui peut vous blesser ou vous jeter dans un océan de malaise, le compromis n’est pas obligatoire. Vous ne devez pas à votre partenaire de tout essayer, tout le temps – et tant mieux, car l’argument pourrait être utilisé contre vous. Vous n’êtes pas un enfant qu’on peut forcer à goûter « juste une fois », encore moins « par amour » (si cet amour était partagé, votre partenaire ne vous mettrait pas la pression). Vous n’avez pas à faire « juste un effort » si cet effort vous coûte votre dignité et une psychanalyse. Votre partenaire peut proposer, il ne peut pas insister (et en retour bien sûr, rien ne vous est dû). Si il ou elle revient indéfiniment à la charge, ce n’est plus une négociation, mais du harcèlement.

Et si ça ne fonctionne pas, me demanderez-vous ? Même avec les meilleures volontés du monde, en surfant sur des océans de bienveillance ? Eh bien cela signifie que vos imaginaires sexuels ne sont pas compatibles, ou du moins, pas totalement compatibles. On échappe rarement à ses fétichismes. On guérit rarement d’une répulsion profonde. Parfois, donc, le compromis se heurte au réel. A partir de ce constat, soit l’épanouissement sexuel est plus important que le couple, soit non. Il n’y a pas de bonne réponse. Il y a des âmes, des consciences et des décisions à prendre.