Le pari américain gagné de Skema Business School
Le pari américain gagné de Skema Business School
Par Martine Jacot
Reportage à Raleigh, le campus ouvert en 2011 en Caroline du Nord par l’école de commerce française. Ses 900 étudiants, dont 40 % de Français, peuvent y décrocher des diplômes américains.
Skema business school
« Are you going to Skema Business School ? » La question de l’officier d’immigration américain à l’aéroport d’Atlanta (Géorgie), au sortir de l’avion en provenance de Paris, surprend. On avait expliqué à ce fonctionnaire peu amène qu’on entrait aux Etats-Unis pour effectuer un reportage. Où ? A Raleigh. Il voulait davantage de précisions. Et voilà qu’il connaissait le nom précis de l’école de commerce française visée, dont l’un des six campus est installé, depuis 2011, dans la capitale de la Caroline du Nord.
On n’en déduira pas pour autant que Skema, école dirigée par Alice Guilhon depuis sa création en 2009, est connue dans tout le sud-est des Etats-Unis. Il est cependant certain que son implantation américaine, deux ans plus tard, est un joli coup, fait au culot.
L’un des membres du conseil d’administration de Skema travaillait chez IBM, dont la société mère avait installé une antenne près de Raleigh, dans le Research Triangle Park, deuxième technopôle américain, après celui de la Silicon Valley. Alice Guilhon a convaincu l’université d’Etat de Caroline du Nord (North Carolina State University, NCSU), université spécialisée dans les sciences, l’ingénierie, la technologie et les mathématiques, de lui louer des salles de cours sur son campus, une petite ville dans la ville, avec ses 34 000 étudiants et sa centaine de start-up sur 4 kilomètres carrés. En 2011, la première promotion de Skema y comptait 210 étudiants. Cinq ans plus tard, ils sont 900 à passer à Raleigh un ou deux semestres dans des locaux dont la superficie a doublé, et qui vont encore s’agrandir pour couvrir 5 500 mètres carrés.
Coup de maître
Le véritable coup de maître de l’école est d’avoir obtenu, par la société Skema US, la certification de l’Etat de Caroline du Nord. Ce qui lui donne le droit de délivrer des diplômes américains. Un privilège que n’ont pas, en formation initiale, les autres grandes écoles de commerce françaises, par l’intermédiaire des partenariats qu’ils ont conclus avec leurs homologues américaines. Dès lors, les étudiants de Skema qui passent deux semestres à Raleigh ont la possibilité de travailler ensuite un an aux Etats-Unis en postulant à un visa optional professional training (OPT).
« C’est la prime du premier arrivé : aucun établissement étranger ne s’était implanté avant nous dans l’Etat, et on ne nous a pas dit non », relate Alice Guilhon. Cette grande brune volontaire et enjouée semble ne jamais s’être départie de l’esprit pionnier de son doctorat en gestion, obtenu entre Montpellier-I et le territoire nord-américain (à l’université du Québec à Trois-Rivières). Ni d’un certain goût du risque. Il lui a fallu consacrer 15 millions d’euros à Raleigh avant d’espérer obtenir, cette année, un premier retour sur investissement.
Les étudiants de ce campus, parmi lesquels 40 % seulement sont français, apprécient d’apprivoiser les Etats-Unis par cette modeste capitale sudiste, tranquille et proprette, et de bénéficier, à deux pas du centre-ville, de toutes les commodités de la sélective et coûteuse NCSU (y étudier coûte 20 000 euros au minimum, le double pour les non-résidents de l’Etat). Ils ont en effet accès aux nombreuses associations étudiantes, à des salles de gym, stades, à la piscine couverte et à une bibliothèque de rêve inaugurée en 2013 – un édifice de verre sur cinq étages, ouvert presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, équipé en outre d’une salle de cinéma à 360 degrés pour des projections ou des cours, des studios audio ou vidéo.
La bibliothèque de l’université d’Etat de Caroline du Nord, à Raleigh. | Le Monde / Martine Jacot
Tunnel de la libre expression
« J’ai voulu entrer à Skema parce que son mastère spécialisé en marchés financiers et investissement est sixième dans le classement mondial du Financial Times », dit Paola Centola, 22 ans, diplômée en licence de l’université Bocconi de Milan. Son père médecin et sa mère infirmière en Italie débourseront 24 000 euros en deux ans pour payer les frais de scolarité de Skema. Ses économies financent le reste.
Lyne Ignanga, dont les parents travaillent dans une banque à Libreville (Gabon), vit en colocation avec trois étudiants de la NCSU (580 euros par mois à quatre) et suit le même programme dirigé par le Franco-Libanais Tarek Amyuni, l’un des 160 professeurs de Skema. Cette jeune Gabonaise, qui a d’abord étudié sur le campus parisien de Skema, à la Défense, voulait « absolument améliorer son niveau d’anglais », la langue de tous les cours à Raleigh, tout en rêvant de travailler aux Etats-Unis, « dans une des plus grandes banques ».
Jennifer Aranéo, originaire de Gap (Hautes-Alpes), termine quant à elle un bachelor en gestion (diplôme postbac en trois ans, 9 000 euros), dans le cadre des deux doubles diplômes mis sur pied avec la NCSU, l’autre étant le mastère spécialisé en management du luxe. Au moment des attentats du 13 novembre 2015, la sollicitude de ses camarades américains l’a touchée. En solidarité, ils ont recouvert de bleu, blanc et rouge le « tunnel de la libre expression », seul endroit du campus où les graffitis sont tolérés.
Un campus sur chaque continent
Michael Bustle, le vice-président adjoint de la NCSU, est convaincu de la nécessité de confronter ses élèves ingénieurs à « des expériences internationales », mais sans susciter, jusqu’à présent, de ruée vers les cours communs avec Skema – seuls 4 % des Américains ont un passeport, relève-t-il. En sens inverse, ses professeurs sont étonnés du « manque de participation en cours des étudiants français, peu enclins, dans un premier temps du moins, à poser des questions ou à oser s’exprimer ». Mais la collaboration avec Skema se développera, assure-t-il, y compris pour un projet d’incubateur.
De son côté, Alice Guilhon va de l’avant, poursuivant la stratégie qu’elle a définie en 2009. Elle avait alors fusionné l’école de commerce de Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes) qu’elle dirigeait (Ceram Business School) avec l’Ecole supérieure de commerce de Lille. Un grand écart géographique qui avait, à l’époque, suscité beaucoup de scepticisme, de même que le choix d’un nom anglais pour la nouvelle entité : School of Knowledge Economy and Management (Skema).
Elle s’était alors fixé l’objectif immodeste d’« ouvrir un campus sur chaque continent », rappelle-t-elle, pour former des « étudiants mobiles », aptes à « travailler dans les entreprises multisites et multiculturelles de notre monde globalisé ». Deux années avant Raleigh, Skema a ouvert un campus à Suzhou (Chine), à une heure de Shanghai. Puis l’an dernier un autre à Belo Horizonte (Brésil).
Incursion sympathique et bénéfique
Archétype de ces « étudiants mobiles », Arthur Lanos a intégré, après un diplôme universitaire de technologie (DUT) de technique de commercialisation obtenu à Grenoble, le campus de Skema à Lille, où il n’a passé qu’un seul semestre, avec des cours de marketing en français et en anglais. Il a enchaîné à Suzhou, où il a appris le chinois. Après une année de césure à La Réunion pour regarnir son compte en banque, il est allé finir son mastère spécialisé à Raleigh en 2013 – « une incursion aussi sympathique que bénéfique dans l’Amérique profonde », commente-t-il. Il a ensuite travaillé un an pour le compte d’une multinationale française à New York, grâce à un visa OPT. Bien qu’occupant actuellement un poste enviable à Paris, il songe à en repartir, « fort d’une expérience internationale bien appréciée des employeurs potentiels ».
Pendant ce temps, la directrice de Skema projette l’ouverture d’un campus en Russie, « où la demande est forte », assure-t-elle. Alice Guilhon ne compte pas en rester là. Elle vise l’Inde et l’Afrique. Anglophone ou francophone ? Elle hésite.