Le Podemos de Katmandou
Le Podemos de Katmandou
M le magazine du Monde
Face à l’incapacité des dirigeants népalais à reconstruire le pays après le séisme de 2015, le parti Bibeksheel Nepali – « Le Népalais pragmatique » – séduit par son fonctionnement participatif, transparent et démocratique.
C’est l’une des conséquences imprévisibles du tremblement de terre qui a frappé le Népal le 25 avril 2015, faisant près de 8 900 morts et 2,5 millions de sans-abri. La récente formation Bibeksheel Nepali ou « Le Népalais pragmatique », fondée en 2014, s’est développée à grande vitesse. Il faut dire qu’avec son programme – réinventer la politique sur les décombres des partis traditionnels en « mettant de côté les idéologies » pour se concentrer sur les « solutions pragmatiques » – l’organisation a de quoi séduire.
A Bhaktapur, au Népal, le 6 avril 2016. Un an après le séisme, le pays a du mal à se relever. | Niranjan Shrestha/AP
De fait, le séisme a mis en évidence l’incapacité du pouvoir politique à reconstruire le pays. Un an après le tremblement de terre, le Népal a ainsi déjà reçu 1,1 milliard de dollars de dons de la communauté internationale, sur les 4,1 milliards promis. Et pas un dollar n’a encore été dépensé. « Le système politique est à bout de souffle, corrompu, et opaque », explique Govinda Narayan, l’un de ses dirigeants, dans une maison d’un faubourg de Katmandou qui accueille le siège du nouveau parti. Dans le jardin, des militants travaillent sur des affiches, rafistolent des tricycles avant d’organiser leur prochaine manifestation. Régulièrement, ils sortent dans les rues de la capitale népalaise pour demander des comptes au gouvernement.
Ovni en politique, Bibeksheel Nepali prône des valeurs qui en effraient plus d’un dans l’establishment politique népalais : « l’amour », « l’empathie » et « l’écoute ». « Il faut aussi revenir aux valeurs humaines et simples comme l’humour et l’humilité, à l’opposé de l’arrogance des politiciens obsédés par le pouvoir personnel », poursuit Govinda Narayan. Le parti – symbolisé par un smiley tout sourire – fonctionne sur la transparence et la participation de ses membres dans une organisation horizontale. Ce qui implique un type de fonctionnement radicalement différent des vieux partis, à la manière d’un mini-Etat, avec ses contre-pouvoirs.
L’aile « législative » est consacrée à la production de nouvelles idées, la partie exécutive est chargée des campagnes de mobilisation, et enfin l’équipe « judiciaire » veille à ce que le parti respecte sa charte, ou sa « constitution » comme l’appellent certains. Pour devenir membre du parti du Népalais pragmatique, il faut subir une période d’observation de six mois. Et davantage lorsque l’on souhaite devenir candidat. Ceux-ci sont nommés par des jurys locaux lors d’entretiens de candidatures ouverts au public. « L’argent ou les menaces n’ont pas de place dans le processus de sélection », précise Govinda Narayan.
Les membres de Bibeksheel Nepali manifestent régulièrement dans les rues de Katmandou pour demander des comptes au gouvernement. | Bibeksheel
Dans un pays où les cooptations, jusque dans le secteur privé, fonctionnent sur l’affiliation aux partis politiques, la « transparence » est à elle seule une révolution. Le parti estime que « l’enfermement de l’establishment politique dans sa tour d’ivoire » est à l’origine de crises politiques majeures, comme celle qui a étouffé le Népal pendant de longues semaines en 2015. Les Madeshis, des habitants des plaines du sud du pays, réclamaient une meilleure représentation dans la nouvelle Constitution votée à l’automne 2015. Ignorés par l’Assemblée constituante, ils ont organisé un blocus à la frontière, avec le soutien tacite de New Delhi, asphyxiant l’économie népalaise et ralentissant les efforts de reconstruction.
Un parti porté par les réseaux sociaux
Le parti n’aurait sans doute pas vu le jour sans les réseaux sociaux, négligés par les partis politiques traditionnels. Ils lui ont permis de mobiliser la diaspora, qui représente la moitié des adhérents. Une force cruciale autant par ses compétences que par ses ressources financières. « Ce parti est la seule lueur d’espoir politique au Népal, et le seul à être entré dans l’ère des nouvelles technologies, qui s’adresse aux jeunes », explique Shashi Bikram Karki,
qui a étudié un an en France avant de rejoindre les rangs du parti en 2015.
Govinda Narayan, un des dirigeants de Bibeksheel Nepali, arborant le symbole du jeune parti : un smiley tout sourire. | cp munikar
S’il était au pouvoir, le parti du Népalais pragmatique reconstruirait le pays en commençant par établir « une base de données solide et transparente, pour établir un bon diagnostic et saisir l’opportunité de la reconstruction pour imaginer de nouveaux systèmes d’irrigation, de meilleures écoles », avance Govinda Narayan.
Le tout jeune parti, encore très urbain, va présenter des candidats dans 14 des 75 districts du pays lors des élections locales dans un an. Il ne mesurera pas seulement sa victoire au nombre de voix, mais à sa capacité à faire bouger les lignes politiques du pays. Et à pousser les partis traditionnels à se réformer.