« Loi travail » : des collectifs face à la violence policière
« Loi travail » : des collectifs face à la violence policière
Par Théau Monnet
Des militants s’organisent pour fournir assistance juridique et soins aux manifestants ou filmer les incidents.
A Paris, le 5 avril, pendant une manifestation d’étudiants contre la « loi travail ». | Aurelien Morissard / IP3 PRESS/MAXPPP
Ils seront à nouveau à pied d’œuvre, jeudi 28 avril, lors de la nouvelle journée de mobilisation nationale contre le projet de loi El Khomri. Dans un climat de plus en plus tendu entre les forces de l’ordre, les manifestants et les groupes de casseurs qui infiltrent les cortèges, des collectifs s’organisent dans la rue et sur les réseaux sociaux pour surveiller et contrer ce qu’ils considèrent comme des violences policières ou une politique de répression systématique.
Interpellations violentes, manifestants blessés… L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) indique avoir été saisie douze fois depuis le début du mouvement contre la « loi travail » – dont quatre fois pour des accusations de violences policières contre des élèves devant le lycée Bergson, à Paris. Dans la seule ville de Rennes, douze plaintes ont été déposées contre les forces de l’ordre après les manifestations du 31 mars et du 9 avril.
Pour faciliter ce travail de plainte et assister les manifestants interpellés, les membres de la « défense collective » ou « legal team », actifs sur les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs, scrutent de près le comportement des policiers. Ces légalistes du pavé couvrent toutes les manifestations contre la « loi travail » et communiquent à leur bureau les détails des arrestations auxquelles ils assistent : description de l’interpellé, localisation précise, horaire, contexte, comportement des forces de l’ordre. En cas de mise en examen, ces éléments pourront étoffer la défense des prévenus.
Brûlures et hématomes
« Nous sommes étudiants, travailleurs ou juristes, explique Maurice [le prénom a été modifié]. Avant les manifs, on distribue des tracts d’informations juridiques, on fait circuler des noms d’avocats qui partagent nos idées. Notre but est de défendre les manifestants et de faciliter le travail des avocats », explique cet étudiant en droit, manifestant et membre de la « legal team » parisienne. Depuis la première manifestation du 9 mars, près de 400 interpellations ont été signalées au collectif, qui a pu suivre une trentaine d’affaires jusqu’aux tribunaux.
« Pour les manifestants arrêtés, les procédures pénales sont très rapides, explique Me Claire Becker. C’est une technique classique pour qu’ils exercent le moins de droits possible », décrit cette spécialiste en droit pénal qui défend régulièrement des manifestants. Si une accusation est retenue, les manifestants sont généralement maintenus en garde à vue, puis déférés devant le tribunal en comparution immédiate. Cette procédure peut prendre deux jours. Pour l’avocat du prévenu, la pratique consiste donc à demander systématiquement le renvoi de la comparution immédiate pour préparer la défense, notamment avec les éléments et témoignages recueillis par la « legal team ».
Pour assister les manifestants, une « medic team » se mêle aussi aux mobilisations. Equipés de trousses de secours, ces soignants informels dispensent les premiers soins. « On agit dans l’idée que peu de secouristes officiels sont présents en manifestation, explique John, manifestant et fonctionnaire en disponibilité de l’éducation nationale. Nous sommes organisés en binômes constitués d’une personne expérimentée et d’une novice. » Selon lui, ces soignants interviennent principalement sur des brûlures, des contusions ou des hématomes. « Il y a aussi une dimension psychologique, dit-il. Car il faut convaincre les blessés de se faire évacuer. Avec l’adrénaline, certains ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont. » Habitué à soigner durant les manifestations, John considère que les CRS font une utilisation de plus en plus dangereuse de leurs armes – flash-Ball, grenades de désencerclement – contre les manifestants.
« Violence d’Etat »
Dans les cortèges ou lors des blocus, des vidéastes professionnels ou amateurs filment les événements et les diffusent sur les réseaux sociaux. Alexis Kraland est un jeune reporter indépendant, il suit les manifestations avec sa caméra, son casque de skate, ses lunettes et son masque de protection. Ancien militant, il a pris le parti de se spécialiser dans les mouvements sociaux. « Les médias traditionnels se focalisent trente secondes sur les violences, puis diffusent l’interview des leaders syndicaux », regrette Alexis Kraland. Lui préfère présenter les manifestations de manière chronologique pour montrer les raisons des éventuels débordements.
Sur Internet, les images violentes voire sanglantes issues des manifestations sont relayées par de nombreux sites militants, comptes Twitter ou page Facebook, pour sensibiliser et appeler à la mobilisation : Observatoire des violences policières, Recensement des violences policières, Stop état d’urgence, Rebellyon (qui tient à jour une cartographie des violences policières signalées en France)… Toutes ces initiatives utilisent les réseaux sociaux pour dénoncer une « violence d’Etat », et montrer « d’où vient la violence » – une formule régulièrement utilisée dans ce milieu militant. Nouvel outil de témoignage : Periscope, l’application pour smartphone qui permet de diffuser des vidéos en direct. Celle-ci s’invite doucement dans la mobilisation et permet à ses utilisateurs d’exercer une pression médiatique sur les policiers en intervention.
Interpellation musclée
Tous ces éléments recueillis sur le terrain servent d’arguments à quelques comités de parents d’élèves et d’enseignants créés pour dénoncer les interventions policières jugées disproportionnées. « Il y a quelque chose de malsain et de dangereux qui est en train de se nouer à long terme », déplore l’une des sept membres du comité de parents d’élèves du lycée Bergson.
Toujours à Paris, au lycée Voltaire, une vingtaine de parents d’élèves et d’enseignants ont créé un comité pour dénoncer l’arrestation de quatre lycéens, dont deux sont mis en examen pour dégradations. Le comité, qui demande le retrait des poursuites, a déjà réuni 2 000 euros pour payer les frais de justice des deux adolescents âgés de 15 ans. Dernier collectif émergent : les enseignants et personnels du département de science politique à Paris-XIII. Ils condamnent l’arrestation de Baptiste, un étudiant de 19 ans dont l’interpellation musclée en pleine manifestation a pu être suivie via Periscope. Après deux jours de garde à vue, le jeune homme a été renvoyé en comparution immédiate pour violence sur un agent des forces de l’ordre et port d’arme (un couteau suisse). Son avocat a obtenu le renvoi du procès au 26 mai.
Pour Philippe Breton, sociologue et chercheur au CNRS à Strasbourg, « l’émergence de ces collectifs peut être un phénomène fondamentalement démocratique s’il ne relève pas de motivations vindicatives. L’essentiel est que les personnes qui s’estiment victimes, policiers ou manifestants, ne fassent pas justice elles-mêmes ».