« Panama Papers » : Bruxelles veut renforcer les obligations de transparence des entreprises
Après les « Panama papers », Bruxelles veut renforcer les obligations de transparence des entreprises
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
La Commission européenne a présenté mardi un projet de directive pour obliger toutes les entreprises à publier profits et impôts pays par pays.
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, arrive à un meeting pendant les deux jours de sommet des leaders de l'Union européenne, le 18 mars 2016. | JOHN THYS / AFP
Les révélations « Panama papers » et le scandale planétaire qu’elles ont déclenché bousculent aussi l’agenda européen en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Comme nous l’annoncions vendredi, la Commission européenne, a modifié sa proposition de directive afin d’obliger les multinationales à rendre publics leurs profits pays par pays, pour aller bien plus loin dans l’exercice de transparence. Ces mesures ont été annoncées mardi 12 avril à Strasbourg.
« Notre proposition pour accroître la transparence va conduire les entreprises à se comporter de façon plus responsable », a déclaré le commissaire européen à la stabilité financière, le Britannique Jonathan Hill, lors d’une conférence de presse au Parlement européen à Strasbourg. « Les ’Panama papers’ n’ont pas changé notre agenda mais ils ont renforcé notre détermination pour que les impôts soient payés là où les profits sont générés », a expliqué M. Hill.
6 000 sociétés concernées
Bruxelles voudrait obliger toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité, à condition qu’elles aient une activité en Europe (une filiale) et qu’elles génèrent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros, à publier leurs profits, leurs impôts et le nombre de leurs salariés, pays par pays. Dans les 28 pays de l’Union européenne, mais aussi, si elles y sont présentes d’une manière ou d’une autre, dans les paradis fiscaux inscrits dans une future « liste noire » européenne des pays non coopératifs, que Bruxelles a également l’intention d’établir dans les mois qui viennent.
En tout, près de 6 000 sociétés dans le monde pourraient être concernées par ce dispositif. Les informations devraient être rendues accessibles facilement, sur le Web et dans les rapports annuels.
Refonte de la directive comptable 2013
Le texte initial, une refonte de la directive comptable 2013, n’intégrait pas cette obligation de transparence pour les paradis fiscaux. « Mais, après les “Panama papers”, on se doit de le faire », souligne une source proche des discussions.
Dans une lettre qu’a pu consulter Le Monde, adressée le 8 avril par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, à Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, M. Juncker confirme que l’institution travaille sur cette option : « Le 12 avril, la Commission présente une proposition pour le reporting pays par pays. Elle répondra à la forte attente publique d’une plus grande transparence sur les comptes des sociétés et le niveau d’impôts qu’elles payent, mais tiendra aussi compte de la nécessité de préserver la compétitivité des activités européennes. Dans notre proposition, nous accorderons une importance toute particulière aux informations fiscales relatives aux pays qui ne respectent pas les bons standards de gouvernance en la matière. »
Jean-Claude Juncker et les cabinets des commissaires Jonathan Hill (finance), Pierre Moscovici (économie) et Valdis Dombrovskis (union monétaire) ont travaillé d’arrache-pied pour être prêts ce mardi. La nouvelle mouture du texte doit, ce jour-là, être validée par le collège des commissaires, qui se réunit à Strasbourg, en marge de la cession plénière du Parlement européen.
La Commission pourrait aussi, dans cette proposition qu’elle remanie, renforcer ses exigences concernant le registre des bénéficiaires des trusts en Europe. Jusqu’à présent, elle demandait que ce registre soit tenu à la disposition des justices des pays membres. Elle pourrait recommander que les administrations fiscales puissent aussi y avoir accès, pour pouvoir mieux mener leurs enquêtes sur les éventuelles fraudes.
Quant à la liste européenne des paradis fiscaux, elle n’existe pas encore, mais Bruxelles compte bien, dans les six mois, convaincre les 28 pays membres de l’Union de s’entendre sur des critères de « choix » communs pour les pays non coopératifs, et sur des sanctions qui pourraient leur être imposées.
Un précédent considérable possible
Le « reporting pays par pays » existe déjà dans les textes européens, pour les banques et les sociétés minières et forestières. Bruxelles espère qu’en le généralisant à tous les secteurs de l’industrie et des services il alimentera le débat démocratique et médiatique et contraindra les multinationales à payer des impôts partout où elles génèrent des profits.
Si ce texte modifié pour y intégrer les paradis fiscaux, reçoit un feu vert au collège, il représenterait un précédent considérable. La législation irait bien plus loin que ce qui existe actuellement dans le monde en matière de transparence : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans son plan d’action pour lutter contre l’érosion des bases fiscales des entreprises (BEPS), prévoit seulement l’obligation de transmission des informations des sociétés aux administrations fiscales nationales, qui sont ensuite censées se les échanger.
Les ambitions de la Commission devraient être bien reçues par les ONG et les eurodéputés verts, qui exigeaient qu’elle s’attaque plus frontalement aux paradis fiscaux. Elles risquent en revanche de très fortement contrarier les lobbies des grandes entreprises.
Comment les Etats membres réagiront-ils ? Bruxelles compte sur l’effet « Panama papers » pour emporter leur décision. La « chance » de la Commission sur ce sujet est qu’il suffit d’une majorité qualifiée des Etats pour que les modifications de la directive comptable puissent être adoptées.
« Panama papers », une lumière crue sur l’opacité des paradis fiscaux
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