« L’émergence de ces compétences non académiques s’explique par l’évolution du marché du travail : il y a de plus en plus de jeunes diplômés et moins d’emplois », explique Jean-François Giret, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne. | MIGUEL MEDINA / AFP

A formation égale, qui a le plus de chance d’être choisi par un recruteur ? Le candidat le mieux doté en qualités humaines (soft skills, en anglais), répond une étude LinkedIn dont Le Monde a eu la primeur. Menée auprès de 320 jeunes diplômés et 309 recruteurs français, tous membres du réseau social professionnel, elle pointe leur décalage de vues sur les critères essentiels pour obtenir un emploi.

Si recruteurs (35 %) et jeunes diplômés (32 %) s’accordent sur l’importance des compétences techniques, les candidats à l’embauche ont tendance à accorder bien plus de valeur au stage (31 %) qu’aux qualités personnelles (seulement 20 %). Alors que c’est l’inverse du côté des employeurs potentiels : 19 % disent favoriser les stages, contre 31 % qui privilégient les qualités personnelles. Sont tout particulièrement appréciées l’adaptabilité (61 %), la positivité (48 %), la créativité (47 %) et l’esprit d’équipe (42 %).

Laurence Bret-Stern, directrice marketing de LinkedIn, commente :

« Même si les compétences techniques restent le critère numéro un des recruteurs, nous constatons un déplacement de la demande vers les qualités humaines. »

Une demande que confirment les employeurs. « Quand on sait que la compétence technique est au rendez-vous et qu’une école reconnue figure sur le CV, on ne se fait pas violence : on choisit une personnalité », admet Siegrid Tartanson, recruteuse chez le fabricant d’équipement automobile Faurecia Group. Les critères retenus par la DRH convergent avec ceux de l’enquête LinkedIn : adaptabilité, capacité d’apprentissage, dynamisme, esprit d’équipe.

Faire surgir le naturel

Dans le secteur des services, chez les consultants, l’attention est portée sur l’humilité. « Si le candidat ne salue pas la personne de l’accueil, c’est mauvais signe, car un consultant doit pouvoir s’adresser aussi bien au technicien qu’au directeur », explique Valérie Ader, cofondatrice du cabinet Colombus Consulting, qui recrute essentiellement des jeunes diplômés d’écoles de commerce, d’écoles d’ingénieurs, de Sciences Po ou des filières sélectives de la fac.

Chez Axa France, l’intérêt pour les qualités humaines s’est fortement développé ces dernières années. Et la liste de ces qualités fait désormais partie du cahier des charges des DRH. « Nous faisons particulièrement attention à trois qualités en plus des valeurs de l’entreprise : l’orientation vers le client, l’adaptabilité et la coopération », explique Muriel Nicou, responsable des recrutements. Selon elle, « les méthodes d’entretien doivent faire surgir le naturel et la sincérité des candidats ».

En creux, ces recruteurs dessinent le portrait-robot du jeune diplômé idéal : compétent mais ayant sans cesse envie d’apprendre, enthousiaste mais à l’écoute des autres, créatif, agile et toujours curieux… Les introvertis, les timides, les stressés ont-ils une chance de s’en sortir ? « Oui, car nous mettons en place des méthodes quand on voit qu’un candidat ne parvient pas à gérer son stress. Par exemple on l’invitera à parler d’une expérience récente, et on la décortiquera avec lui », répond Muriel Nicou.

Des expériences de terrain dès l’école

Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine. Grandes écoles et universités déclarent avoir bien saisi l’importance de ces qualités qui feront la différence sur le marché du travail, et tâcher de les développer.

A Sciences Po, « le savoir-être est indissociable de l’innovation pédagogique », explique Félicité Gasparetto, responsable déléguée à l’insertion professionnelle. Elle fait valoir que l’interdisciplinarité, la pluridisciplinarité et l’ouverture à l’international participent au développement des qualités humaines des élèves. « Nous ne formons pas que des étudiants en sciences économiques et commerciales, nous formons aussi des êtres humains », fait valoir Jean-Michel Blanquer, le directeur de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec). Dans cette école de commerce réputée, les étudiants de première année passent leurs quatre premiers mois à « faire du terrain », envoyés en camp d’entraînement en immersion avec des managers, et en stage.

Les formations techniques ne sont pas en reste. « Il est clair que de manière générale les qualités humaines sont moins présentes dans les cursus d’ingénieur que dans les écoles de commerce. A l’Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction (ESITC) de Caen, nous exigeons toutefois des élèves qu’ils multiplient les stages dans des environnements qu’ils ne connaissent pas, pour pousser leur faculté d’adaptation et d’ouverture », explique Nicolas Bazin, responsable entrepreneuriat de l’école d’ingénieur.

L’université, et ses cursus disciplinaires, est-elle aussi bien entraînée ? Pour François Germinet, président de l’université de Cergy, la diversité des étudiants de la fac est un atout, qu’il faut développer. « Les entreprises de tous secteurs, environnement, banque, etc., me font régulièrement savoir qu’elles sont en demande de nos diplômés », assure-t-il. Ce que confirme Muriel Nicou :

« Ces étudiants sont moins préparés à l’exercice de l’entretien, mais ils ont des qualités très recherchées par les recruteurs : ils sont plus autonomes et s’adaptent mieux, car ils ont été moins formatés. »

Ceux qui possèdent le plus de compétences sociales, émotionnelles et relationnelles sont aussi ceux qui seront le mieux payés. Une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) publiée en janvier montre en effet que l’écart de salaires entre jeunes diplômés d’un master est en partie dû aux différences de savoir-être. « L’émergence de ces compétences non académiques s’explique par l’évolution du marché du travail : il y a de plus en plus de jeunes diplômés et moins d’emplois », explique son auteur, Jean-François Giret, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne. A l’entendre, ces compétences, transmises par le système éducatif et l’environnement familial, sont de plus en plus discriminantes et appelées à devenir un facteur décisif de la rémunération.

Qui sont les jeunes diplômés sondés ?

  • Tous diplômés en 2015.
  • La majorité des sondés ont entre 18 et 34 ans (86 %).
  • La majorité des sondés sont des hommes (63 %).
  • La majorité des sondés ont obtenu un diplôme de niveau master (64 %).
  • 70 % sont stagiaires, intérimaires ou sans emploi.
  • 28 % sont diplômés en commerce.
  • 21 % sont diplômés en ingénierie (informatique).
  • 51 % ont consulté une offre d’emploi sur LinkedIn au cours du dernier mois.