Russie : la romancière Ludmila Oulitskaïa agressée à Moscou par des militants nationalistes
Russie : la romancière Ludmila Oulitskaïa agressée à Moscou par des militants nationalistes
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Le visage de l’écrivaine russe a été aspergé, jeudi 28 avril, d’un produit antiseptique alors qu’elle s’apprêtait à présider le jury d’un concours scolaire organisé par l’ONG Memorial.
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Durée : 01:07
Le visage aspergé d’un produit antiseptique vert, Ludmila Oulitskaïa est restée stoïque. « Dieu merci, ce n’était pas de l’acide sulfurique. » La romancière russe, dont les œuvres ont été traduites dans le monde entier, a été victime, jeudi 28 avril, à Moscou, d’une agression menée par des militants nationalistes propouvoir, alors qu’elle s’apprêtait à présider le jury d’un concours scolaire.
Organisé par l’ONG Memorial avec le soutien d’autres associations et de trois fondations allemandes, ce concours, baptisé « L’homme dans l’histoire, la Russie au XXe siècle », dont c’était la 17e édition, récompense des collégiens sur le travail de mémoire de l’histoire contemporaine russe, de la répression stalinienne à la seconde guerre mondiale, à travers les témoignages récoltés dans leurs familles. Jamais, jusqu’ici, la manifestation n’avait fait l’objet d’une telle animosité.
A midi, jeudi, devant Dom Kino, la Maison centrale des cinéastes, une poignée de militants du Mouvement de libération (NOD) et de l’Union eurasienne de la jeunesse rassemblés ont jeté des œufs et du produit ammoniaqué sur les participants, parmi lesquels figurait l’ambassadeur allemand en Russie, Rüdiger von Fritsch. Au cri de « fascistes » et brandissant une pancarte « Nous n’avons pas besoin d’une version alternative de l’histoire », ces perturbateurs portaient, pour certains d’entre eux, un uniforme de l’armée soviétique et le ruban de saint Georges, devenu un symbole nationaliste, sous le regard apeuré des collégiens.
Opérations tarte à la crème et jets de projectile
Selon un correspondant sur place du site d’information Meduza, un homme a lancé : « Ces enfants sont anormaux, il faut les soigner. » Présente à proximité, la police n’est pas intervenue. Un homme aurait été interpellé plus tard, d’après l’agence Interfax.
Créé par le député Evgueni Fiodorov, membre du parti au pouvoir La Russie unie, NOD revendique 163 000 membres et se définit comme un mouvement politique ayant pour but « le retour de la souveraineté de la Russie ». L’organisation, qui a à son actif plusieurs opérations agressives contre des opposants, en les ciblant avec des œufs et de la farine, a démenti être à l’origine du jet d’antiseptique. « Encore une provocation », a réagi Memorial, classée par le ministère de la justice « agent de l’étranger », et qui s’est déclarée « indignée par l’inactivité démonstrative de la police ».
Les opérations tarte à la crème et jets de projectile de toute sorte se multiplient en Russie contre l’opposition, régulièrement accusée d’être manipulée par l’Occident. Jeudi, le même jour que l’agression contre l’écrivaine Oulitskaïa et les participants au concours sur la mémoire, l’opposant Alexeï Navalny a été victime d’une attaque similaire. Deux individus postés au pied de l’immeuble de son bureau l’ont aspergé d’un liquide bleu. « Tout cela va se terminer avec de l’acide au visage (…). Il est clair que quelqu’un fournit l’information sur qui va où et quand, a réagi le pourfendeur russe de la corruption. Dans leur lutte pour la défense de leurs intérêts dans les [comptes] offshore au Panama, ces gars-là vont aller loin. »