Sexe et argent, des liaisons dangereuses aux liaisons heureuses
Sexe et argent, des liaisons dangereuses aux liaisons heureuses
Par Maïa Mazaurette
L’argent ne se situe ni au cœur ni dans l’antithèse du désir. Il fait simplement partie des critères, ni plus ni moins que la génétique, l’âge, la bonne entente ou les facteurs culturels, rappelle la chroniqueuse Maïa Mazaurette.
Jusqu’à récemment, nous nous préoccupions surtout des liens entre sexe et argent quand il s’agissait de prostitution, de coercition ou de scandales people. C’était pratique, ça se passait loin de chez nous. Mais depuis quelques années, on invite le débat jusque dans le quotidien. On n’obtiendrait rien d’une femme sans bouquets. Le mariage serait une forme de prostitution. Les rencontres s’opéreraient au détriment financier des hommes, lesquels se retrouveraient systématiquement en situation de soutien économique envers des conjointes exploiteuses. N’en jetez plus !
Remettons donc les choses en contexte : nous ne vivons effectivement pas retranchés de toute influence économique. Nous nous marions effectivement plutôt avec des personnes de revenu similaire. Les hommes sont effectivement plutôt sélectionnés sur leur aisance financière, leur prestige, que sur leur physique. D’accord. Mais après ?
Culturellement, nous sommes persuadés que l’argent annule toute sincérité émotionnelle ou sexuelle. Les contes de fée vont jusqu’à glorifier la différence de revenus pour en faire le signe d’une passion plus authentique : l’amour contre l’intérêt économique (du prince charmant). Par effet de rebond, toute personne tombant amoureuse au-dessus de sa tranche d’impôts paraît immédiatement suspecte. Entendu dans la bouche d’une épouse de radiologue, elle-même chirurgienne : « Evidemment les infirmières lui tournent autour. Elles rêvent d’un beau mariage. » Est-il inenvisageable que des infirmières flirtent par attrait pour l’intelligence, ou puissent désirer une paire de fesses sculptées par les heures de squash ? A ce compte-là, il n’est pas surprenant que les riches deviennent paranoïaques. On note d’ailleurs le développement de services de rencontres pour super-riches, dont le ticket d’entrée démarre à plusieurs milliers d’euros – le prix de l’entre-soi, mais aussi celui de la tranquillité émotionnelle. Mais sans aller jusqu’aux soucis de l’élite, un sondage montrait en 2015 que les hommes américains, s’ils pouvaient dissimuler une chose et une seule, choisiraient de cacher leur solde bancaire. Ils sont d’ailleurs 6 % à posséder un compte secret : on parle alors d’infidélité financière.
Plus on est pauvre, plus on divorce
Soyons donc pragmatiques. Quelle place devrait tenir l’argent dans notre couple, si nous vivions libérés des contes de fée comme de la paranoïa de classe ?
Tout d’abord, reconnaissons qu’il s’agit d’une préoccupation légitime. L’argent amplifie les possibles. La plupart des activités de couple, comme le restaurant ou les escapades, coûtent cher. De bons revenus permettent en outre d’esquiver certains des soucis les plus destructeurs pour une libido – la mauvaise santé, la peur du déclassement, les appartements trop petits, la routine, l’inconfort. Plutôt que d’accuser les femmes d’être intéressées, mieux vaudrait considérer que tout le monde, homme ou femme, a intérêt à pouvoir compter sur une armée de baby-sitters. Ou sur un déshabillé en soie. Mieux vaut avoir de l’argent que ne pas en avoir. Plus on est pauvre, plus on divorce. Les plus riches sont aussi les plus satisfaits sexuellement. Les femmes ont plus d’orgasmes lorsqu’elles couchent avec un partenaire plus riche (donc plus désirable socialement) – à moins que ces orgasmes ne soient liés à une surévaluation des revenus du partenaire.
Du coup, même si parler d’argent est considéré comme vulgaire (comme parler de sexe !), il paraît hypocrite d’en faire l’absolu tabou des premiers rendez-vous. Le choix d’une chambre d’hôtel ou d’un dîner, la marque des vêtements ou le montant du pourboire, en disent de toute façon plus long que notre dernière fiche de paie. Si nous voulions séduire en expulsant tout paramètre économique, il faudrait le faire en uniforme à la cantine d’entreprise. Un contexte perçu, tiens donc, comme peu propice aux envolées érotiques.
Reconnaissons ensuite que quand on parle d’argent... les hommes en ont plus. De la taxe-tampon aux ventes au rabais sur eBay, des produits genrés d’autant plus chers qu’ils sont féminins aux dépenses de coiffeurs, les chiffres déprimants n’ont pas manqué ces temps-ci. Sur une carrière américaine, le manque à gagner pour être née femme dépasse les 430 000 dollars (383 040 euros). Juste à cause de la différence des salaires pour travail égal. Et encore : quand on est blanche. Dans ces conditions, entendre les hommes protester contre la tradition qu’ils invitent les femmes lors du premier rendez-vous, alors même qu’elles ont sans doute engagé des dépenses supérieures en épilation et en préparation, fait doucement rigoler. Les femmes aussi paient pour coucher, mais leur investissement, au lieu de se situer dans l’espace public, s’opère de manière privée, et sur leur propre corps. Tout est question de valeurs : soit vous prônez l’équité et les hommes doivent payer cette maudite addition. Soit vous prônez l’égalité et les femmes cessent de s’épiler et de se maquiller. A vous de voir !
Transparence totale ?
Il convient enfin de remettre cet argent à une place raisonnable. Certes le compte en banque permettra une plus grande liberté dans le couple – et plus encore quand on est un homme. Ceci étant dit : le cours du dollar est-il réellement la première chose que nous ayons à l’esprit quand nous tombons amoureux, ou quand nous faisons l’amour ? Sauf à vraiment, vraiment, vouloir ignorer tous les autres critères : non. Ne soyons pas cyniques. Si nous avions réellement besoin de draps en satin ou de champagne, le genre humain serait éteint depuis longtemps. Si on se marie plutôt dans notre ligue, c’est aussi qu’on a plus de chances d’y rencontrer quelqu’un dont les valeurs, les préoccupations et l’éducation nous correspondent. Pour donner un exemple, plus on est riche, plus on imagine mériter cette richesse – se sentir légitime face aux autres (aux pauvres) induit nécessairement des comportements qui ne seront acceptables que si on partage des valeurs similaires.
Pour autant, faut-il opérer sous le règne de la transparence totale ? Le compte joint est-il l’ultime marque d’intimité ? Ou au contraire, savoir ce que l’autre dépense serait-il une forme pernicieuse de contrôle ? Puisque nous parlons ici de sexualité : les experts recommandent une distance de sécurité dans le couple – la distance nécessaire au désir. Mais rien n’oblige à placer cette distance uniquement sur l’indépendance financière. On peut partager ses revenus mais pas ses loisirs. Sa déclaration d’impôts mais pas son lit.
Je notais au début de cet article que nous avons un rapport très dramatique aux questions d’argent dans le couple – comme s’il fallait choisir entre le tout ou rien, entre le grand cru millésimé prostitutionnel (pour les méchants capitalistes) et l’amour fait d’eau fraîche (pour les gentils bobos). Mais l’argent ne se situe ni au cœur ni dans l’antithèse du désir. Il fait simplement partie des critères, ni plus ni moins que la génétique, l’âge, la bonne entente ou les facteurs culturels. L’argent existe. Il n’y a pas que l’argent. Avant d’équilibrer les comptes, pourrait-on équilibrer la conversation ?