Tout ce qu’il faut savoir sur les pesticides
Tout ce qu’il faut savoir sur les pesticides
Par Angela Bolis
Consommation, risques pour la santé et l’environnement, coût économique, législation et alternatives… Tour d’horizon des questions que posent ces substances chimiques.
Un agriculteur épand des pesticides sur ses champs à Bailleul, dans le nord de la France, en juin 2015. | PHILIPPE HUGUEN / AFP
Alors que l’usage de pesticides dans les campagnes françaises ne cesse de grandir, tout autant que la conscience des risques qu’ils présentent pour la santé et l’environnement, la onzième semaine pour les alternatives aux pesticides s’est ouverte du 20 au 30 mars, avec au programme des centaines d’événements, dont une « marche verte citoyenne » samedi à Paris. L’occasion de faire un tour d’horizon des dernières informations sur ce sujet.
Des risques sanitaires qui inquiètent
L’environnement, et les abeilles, en première ligne
Un coût économique insoupçonné
Du côté des alternatives, agriculture bio et agroécologie
Une consommation en hausse
Selon les derniers chiffres officiels, au début de mars, le secteur agricole consomme de plus en plus de pesticides, avec une hausse annuelle moyenne de 5,8 % entre 2011 et 2014, qui s’est même accélérée ces dernières années (+ 9,4 % entre 2013 et 2014). En France, premier producteur agricole en Europe et deuxième consommateur de pesticides derrière l’Espagne, les rendements, pourtant, ne progressent plus : céréales, oléagineux, poires, pommes ou betteraves sont moins productifs qu’en 2009.
Des risques sanitaires qui inquiètent
Derrière ces chiffres, les inquiétudes sur l’impact de ces substances chimiques sur la santé se sont une nouvelle fois réveillées au début de février, à la suite de la diffusion d’une enquête de Cash Investigation, vue par 3,12 millions de téléspectateurs. Ce documentaire percutant, qui révélait les chiffres précis, et secrets, des ventes de pesticides, mettait en relief plusieurs données alarmantes : une puissante industrie partagée entre six multinationales, des enfants exposés à près de cent trente polluants chimiques chaque jour, et… 97 % d’aliments contenant des résidus de pesticides. Ce dernier chiffre, erroné, a valu à l’émission de s’attirer les foudres des critiques. Pourtant, l’omniprésence des pesticides est bien réelle : selon l’Institut de veille sanitaire, 100 % de la population française en porte des traces, même à des doses très faibles.
Or ces doses infimes ne présagent en rien de leur innocuité. Tout d’abord parce que le mélange de différentes substances dans l’organisme pourrait déclencher un « effet cocktail », deux substances inactives isolément pouvant se révéler toxiques ensemble — un effet qui n’est pas pris en compte pour leur homologation. Ensuite parce que parmi les pesticides, on compte des perturbateurs endocriniens, capables d’interférer avec le système hormonal, même à des niveaux d’exposition très faibles.
De manière générale, nombre de pesticides sont classés CMR — cancérogènes, mutagènes (toxique pour l’ADN) ou reprotoxiques (nocifs pour la fertilité). Certaines de ces substances chimiques sont suspectées dans plusieurs maladies émergentes en lien avec le dérèglement du système hormonal : diabète de type 2, obésité, cancers hormonodépendants (sein, prostate, thyroïde) et troubles neuro-comportementaux (troubles de l’attention, hyperactivité, etc.). Sans compter l’autisme ou les atteintes au développement du cerveau, avec des conséquences sur les capacités cognitives. La maladie de Parkinson, enfin, a été reconnue en 2012 maladie professionnelle en lien avec les pesticides.
Les enfants, les femmes enceintes et les fœtus sont les plus sensibles aux effets de ces substances. Population à risque également, les agriculteurs eux-mêmes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime ainsi que l’intoxication par des insecticides, des herbicides ou des fongicides cause quelque deux cent cinquante mille morts par an. En France, un des cas les plus emblématiques de ces intoxications aiguës est celui du céréalier Paul François, qui a inhalé des vapeurs de l’insecticide Lasso, et a fait condamner la firme Monsanto à l’indemniser entièrement.
L’environnement, et les abeilles, en première ligne
Au-delà de la santé humaine, les pesticides sont responsables d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de pollution des sols, de l’air et de l’eau. En 2013, 92 % des 2 950 points de surveillance de la qualité de l’eau laissaient apparaître au moins un pesticide ; et même dix substances actives au moins dans la majorité des cas.
Par ailleurs, la biodiversité dans son ensemble en pâtit. Outre la destruction des micro-organismes dans le sol, les insectes, et notamment les pollinisateurs, sont les premiers touchés. A la fin de février, la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), équivalent du groupe d’experts climatiques réunis au sein du GIEC, a estimé que « la recherche récente indique des effets létaux et sublétaux des insecticides néonicotinoïdes sur les abeilles et sur le service de pollinisation qu’ils assurent ». Pourtant, reconnaît l’IPBES, « plus des trois quarts des principales cultures mondiales destinées à l’alimentation dépendent d’une manière ou d’une autre de la pollinisation animale ».
Le déclin des abeilles expliqué en 3 minutes
Durée : 03:50
Un coût économique insoupçonné
Si l’on prend en compte, notamment, tous ces impacts sanitaires et environnementaux, les pesticides se révèlent bien moins rentables que prévu. C’est ce que montre une vaste étude sur les externalités négatives liées à leur usage, menée par deux chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Selon eux, aux Etats-Unis au début des années 1990, ils rapportaient environ 27 milliards de dollars par an à l’économie américaine, mais pesaient pour au moins 40 milliards de dollars…
A compter parmi ces coûts cachés : les dégâts sur les services offerts par les écosystèmes (pollinisation, etc.) ; les frais de santé, avec le traitement des maladies chroniques ou encore la perte de productivité des agriculteurs ; les coûts pour réglementer et contrôler ces substances, ou surveiller et assainir les eaux et les milieux contaminés ; mais aussi les frais d’évitement, principalement induits par les excédents de dépense des ménages qui optent pour l’alimentation biologique. Autre déperdition importante : la perte des rendements due aux résistances aux pesticides développées par les herbes adventices ou les ravageurs.
Que dit la loi ?
Certains pesticides sont interdits au cas par cas, au fur et à mesure des études scientifiques et des alertes. Il en est ainsi, en France, du DDT, du Cruiser OSR, du Gaucho (pour les semences de maïs), ou de l’atrazine, dont la présence dans l’environnement persiste malgré tout pendant des années après leur retrait du marché.
De manière plus globale, un plan « Ecophyto » a été lancé en 2009, dans la foulée du Grenelle de l’environnement. Essentiellement fondé sur la pédagogie, il avait pour ambition de réduire de moitié l’usage des herbicides, fongicides et insecticides d’ici à 2018. Face à son échec, le deuxième volet, « Ecophyto 2 », a démarré en octobre 2015 avec le même objectif d’une baisse de 50 %, mais repoussé à 2025.
Dernier rebondissement, lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité, à la mi-mars à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un article interdisant l’utilisation des néonicotinoïdes à partir de septembre 2018, pour l’ensemble des cultures et semences. Et ce malgré une lettre adressée par Stéphane Le Foll aux députés, quelques jours avant le vote, pour les inciter à refuser une interdiction « brutale » de ces néonicotinoïdes.
Au niveau européen, les autorisations de mise sur le marché des différents pesticides par la Commission européenne font l’objet de critiques en raison de son laxisme ou de l’influence des lobbys industriels. Au début de mars, la Commission a reporté un vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate, après que plusieurs pays européens, dont la France, eurent prévenu qu’ils voteraient contre. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) estime « improbable » que le glyphosate soit cancérogène pour l’homme, alors qu’il a été classé « cancérogène probable pour l’homme », mutagène et cancérogène pour l’animal par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), de l’OMS.
Du côté des alternatives, agriculture bio et agroécologie
Principale alternative aux pesticides, l’agriculture biologique est en essor : selon les chiffres de l’Agence bio de la fin de février, les surfaces engagées en « bio » ont bondi de 17 % en un an, pour atteindre 1,3 million d’hectares à la fin de 2015. Le nombre de producteurs ayant aboli pesticides et engrais chimiques a progressé de 8,5 % : ils sont désormais 28 725. Cela ne représente que 6,5 % des fermes françaises, mais près de 10 % des emplois agricoles.
Présenté par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, comme une voie à suivre pour sortir du tout pesticides, l’agroécologie rallie aussi de plus en plus de partisans. Cette démarche agricole utilise les services rendus par les écosystèmes, plutôt que de chercher à les substituer par des intrants chimiques : cultures associées, insectes prédateurs auxiliaires…
Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile
Et à l’échelle individuelle, en tant que citoyen et consommateur, la meilleure solution reste de manger bio, local et de saison.
Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile