« American Honey » : Andrea Arnold lâche les commandes en route
« American Honey » : Andrea Arnold lâche les commandes en route
Par Isabelle Regnier
Habituée de la compétition cannoise, la cinéaste britannique se fourvoie dans un road-movie sans âme.
Premier bug dans une compétition cannoise dont la tenue s’avère, depuis le premier jour, assez éblouissante, American Honey a constitué une épreuve difficile pour des festivaliers un peu vite transformés en enfants gâtés. Les 2 h 42 de ce road-movie sans âme, lisse comme une traînée de gloss, semblaient ne jamais devoir finir. Habituée de la compétition où elle a présenté ses trois premiers longs-métrages (Red Road, 2006, Fish Tank, 2009, Les Hauts de Hurlevent, 2011), la Britannique Andrea Arnold s’est offert, comme se doit aujourd’hui de le faire tout cinéaste sélectionné à Cannes qui se respecte, son « film américain ». Et comme c’est souvent le cas de ceux qui s’y risquent, le résultat donne l’impression qu’elle a lâché les commandes en route.
American Honey suit l’échappée de Star (Sasha Lane), une adolescente mignonne comme un ange, issue d’une famille qu’on hésite à qualifier de « white trash » tant le profil de ses parents (père pédophile incestueux, mère alcoolique et/ou droguée, aussi radicalement démissionnaires l’un que l’autre vis-à-vis de leurs enfants) semble requérir une catégorisation plus extrême encore. Lorsqu’un garçon fantasque, Jake (Shia LaBeouf), l’aborde dans un supermarché où elle venait de faire les poubelles et lui propose de rejoindre la bande de jeunes marginaux avec qui il sillonne les routes pour vendre des abonnements de magazines, elle voit là l’occasion de s’arracher à l’enfer familial.
Sasha Lane dans le film britannique et américain d’Andrea Arnold, « American Honey ». | DIAPHANA DISTRIBUTION
Regard étroit
Comment un film sur la jeunesse, tourné en plein soleil dans les paysages du sud des Etats-Unis, au son d’une épatante bande originale pop et R’n’B, peut-il peser si lourd ? Le parti pris moralement discutable sur lequel il repose, qui consiste à faire d’une réalité sinistre un spectacle séduisant, aboutit à un résultat aussi indigeste qu’un film d’Asia Argento ou d’Harmony Korine qu’on aurait trempé dans du sirop de glucose.
Ce qui le rend si pénible tient au fait que l’auteure ne semble pas plus intéressée par ce qu’elle raconte que par ce qu’elle montre. Près de trois heures ne lui ont pas suffi pour faire émerger de sa meute de vendeurs d’autres personnages que Star, qui va progressivement déchanter, Jake, qui révèle peu à peu une nature cynique, et Krystal, la patronne perverse et despotique de cette entreprise crevarde. L’intrigue glisse sans que rien ne se noue jamais, sans qu’aucune émotion n’affleure. Et on finit par se dire que le choix du format 4:3, a priori antinomique avec le genre du road-movie, traduit simplement un regard étroit.
American Honey di Andrea Arnold | TRAILER
Durée : 01:17
Film américain et britannique d’Andrea Arnold avec Shia LaBeouf, Sasha Lane, Riley Keough, Arielle Holmes (2 h 42). Sur le Web : diaphana.fr/film/american-honey