Après guerre, l’Europe entre espoir et chaos
Après guerre, l’Europe entre espoir et chaos
Par Christine Rousseau
Le tandem Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza se penche sur la renaissance d’une Europe exsangue (dimanche 8 mai à 20 h 55 sur France 2).
APRÈS HITLER: bande-annonce
Durée : 00:44
Le tandem Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza se penche sur la renaissance d’une Europe exsangue.
Ravivé depuis quelques années par la colorisation des archives, l’attrait du public pour Hitler et la seconde guerre mondiale ne se dément pas (Le Monde du 2 mai). Et les chaînes l’ont bien compris, qui multiplient les programmations, tout comme les historiens, qui dispensent volontiers leur savoir et les acquis récents de la recherche, en conseillant les auteurs ou en prêtant la main à l’écriture de documentaires. Parmi eux, Olivier Wieviorka, professeur à l’ENS de Cachan, à l’origine de La Chute du Reich, brillante fresque sur les ultimes combats – les plus meurtriers du conflit –, composée avec David Korn-Brzoza, auteur de films comme Histoire des services secrets français (2010), Dénoncer sous l’Occupation (2011), L’Argent de la Résistance (2012) ou Churchill, un géant dans le siècle (2014).
Une informatrice de la Gestapo devant une femme qu’elle a dénoncée, en 1945. | Atelier Des Archives
Sitôt ce premier volet achevé, le tandem s’est attelé à un second, portant sur les années 1945-1949, Après Hitler. Des années passablement chaotiques, dans le creuset desquelles va se dessiner un nouvel ordre du monde. Une poignée d’années d’autant plus complexes que les deux auteurs, dans la continuité de leur premier opus, ont choisi de les traiter à travers un récit global à dimension européenne. Ce qui, entre autres, les distingue du duo Isabelle Clarke - Daniel Costelle, dont on les rapproche abusivement.
LA CHUTE DU REICH Bande Annonce (Documentaire - 2015)
Durée : 01:24
Cette ambition de contribuer à l’élaboration d’une mémoire commune européenne fait d’ailleurs le prix de ce documentaire dont on soulignera une nouvelle fois les qualités d’écriture, qui dessinent, sans excès de lyrisme, une dramaturgie portée par la voix sobre et grave de Vincent Lindon. Mais également le travail de recherche d’archives sinon inédites du moins rares en France – en particulier celles provenant de Pologne, de République tchèque, de Bulgarie, de Hongrie ou d’Ukraine – remastérisées et colorisées avec soin, enrichies qui plus est par de multiples sources écrites (lettres, articles, journaux intimes, rapports…).
Epuration et pogroms
Trait d’union lumineux de ce diptyque, c’est par un sourire de joie et d’espoir que s’ouvre Après Hitler. Dans les pays libérés, les foules en liesse célèbrent la victoire sur l’hydre nazie. Après quatre ans de souffrances, de violences et de privations, on danse, on chante, on exulte, on s’embrasse, on défile, comme dans ce petit village belge où l’on rejoue, sur un mode carnavalesque, les principaux épisodes de la guerre, de l’exode à la signature de la capitulation. Si le soulagement d’être en vie domine, très vite, cependant, les sourires s’estompent devant l’étendue du désastre dans une Europe réduite à un champ de ruines et à un immense cimetière.
En effet, sur le continent, les pertes sont estimées à 40 millions de personnes, dont 21 millions de Soviétiques, 4,5 millions de soldats allemands auxquels il faut ajouter les 6 millions de juifs exterminés dans les camps de la mort. Sur ce point, Vassili Grossman écrit : « En Ukraine, il n’y a plus de juifs. (…) Nulle part vous ne verrez de fillettes aux yeux noirs emplis de larmes. (…) Tout est silence, tout est immobile. Un peuple entier a été assassiné avec la dernière brutalité. » Or, celle-ci continue de s’exercer un peu partout. Les déchaînements de violence à travers l’épuration et les pogroms – on pense notamment à celui de Kielce, en Pologne, en 1946 – sont d’ailleurs ce qui saisit le plus au début du film, où sont dépeints les multiples défis que les vainqueurs vont devoir relever pour instaurer la paix.
Entrée dans la guerre froide
Dans une Europe exsangue où tout est à reconstruire, la tache des Alliés est pour le moins gigantesque. Non seulement il leur faut répondre aux besoins matériels de populations affamées et épuisées, calmer leur soif de vengeance (« Les peuples libérés sont le combustible le plus dangereux du monde », est-il noté dans un rapport de l’administration américaine) ; mais ils doivent également gérer les 11 millions de prisonniers allemands. A l’Ouest, ceux-ci seront affectés à la reconstruction, aux opérations de déminage au cours desquelles beaucoup perdront la vie, à l’exhumation des charniers, tandis qu’à l’Est, ils sont envoyés au goulag. Surtout, il leur faut tenter de gérer une marée humaine composée de civils déplacés de gré ou de force, de prisonniers de guerre libérés, d’ouvriers du STO, ainsi que de survivants de la Shoah hésitant à rentrer dans le pays où ils furent persécutés. Avec la création de l’Organisation internationale des réfugiés, en 1947, le rapatriement s’accélère, tout comme la reconstruction, qui s’accompagne de réformes, à l’Ouest comme à l’Est, sous l’œil de Moscou, ce qui n’est pas sans inquiéter Churchill, qui instaure la formule de « rideau de fer »…
France 2 | Après Hitler : interview d'Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza
Durée : 09:50
Si les années 1947-1949 marquent véritablement l’entrée dans la guerre froide, cristallisée par la partition de l’Allemagne au sortir du blocus de Berlin (juin 1948 à mai 1949), Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza, malgré le caractère plus géopolitique de cette partie, savent en conserver la dimension profondément humaine.
Après Hitler, d’Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza (Fr., 2016, 90 min). Le dimanche 8 mai à 20 h 55 sur France 2. Rediffusion le jeudi 19 mai à 0 h 35.