Au Congo-Kinshasa, on peut rire de tout, mais on se retient
Au Congo-Kinshasa, on peut rire de tout, mais on se retient
Par Habibou Bangré (contributrice Le Monde Afrique, Kinshasa)
La troupe d’humoristes Toseka passe au crible les travers de la société congolaise, en se gardant d’écorner l’image du président Kabila et de ses affidés.
Un sapologue dans le quartier de Matonge, à Kinshasa, fin avril 2016. | JUNIOR KANNAH/AFP
Mâchoires douloureuses, zygomatiques surchauffés, abdominaux raffermis. Jeudi 12 mai, au centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa, la troupe Toseka (« rions », en lingala) promet des barres de rire à l’auditoire. Au programme, sept humoristes, dont cinq hommes (Félix Kisabaka, Emmanu Tara, Seigneur Kazar, César Mansueki, Ronsia Kukielukila), une femme, Abelle Bowala, qui représentera la République démocratique du Congo au Festival du rire de Marrakech (du 1er au 5 juin) et un enfant surnommé « le Géant ».
En lingala et en français, ils diagnostiquent la société congolaise. Pêle-mêle, on conte les aventures d’un « baobab de l’ivresse », évoque les préjugés ciblant les femmes « masculino-féminines », raille les routes des Chinois qui « ne durent jamais », tourne en dérision les infractions fictives des policiers « voleurs »…
Et, bien sûr, on parle de la présidentielle, prévue pour novembre. La veille du show, la Cour constitutionnelle a tranché que, si l’élection n’avait pas lieu, Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001 et qui ne peut se représenter selon la Constitution, restera en poste jusqu’à l’installation du nouveau président élu.
L’arrêt de la Cour, que l’opposition juge inféodée à Kinshasa, a crispé un peu plus le climat. Une large frange de l’opposition a dénoncé un « coup d’Etat constitutionnel » visant à instaurer une « présidence à vie pour M. Kabila », et annoncé une « marche de protestation » nationale le 26 mai contre les « fossoyeurs de la démocratie ».
Pas de tabou ?
Pour César Mansueki, l’équation est simple. « Tout ce qui est au féminin ne marche pas : la vérité, la parité, la démocratie, la Consti… ». « Constitution ! », lance la salle. « Constipation, corrige l’humoriste qui enchaîne. Tout ce qui est au masculin marche très bien : le mensonge, le vol, le “glissement” [retard probable de la présidentielle]. »
De temps en temps, des spectateurs lâchent de sonores « Yebela ! » (« sache-le ! »), slogan de ceux qui rappellent à Joseph Kabila que son deuxième quinquennat s’achève le 19 décembre, ou « Wumela » (« règne »), la devise de ceux qui l’appellent à rester en fonction au-delà de son mandat.
A la fin du stand-up, Abelle Bowala propose d’aller plus loin la prochaine fois, et de « vanner tout le monde ». Majorité, opposition, députés, sénateurs, gouverneurs, énumère-t-elle. « Et même le président ! » A cet instant, la lumière s’éteint, laissant penser que, quand même, il y a peut-être des limites.
Preuve du climat tendu, certains craignaient que la police ne débarque. Interdit de rire de la politique ? Ados Ndombasi, coordonnateur du festival Toseka, dont la première édition s’est déroulée en 2012, n’y croit pas. « Dans l’humour, il n’y a pas de tabou. On peut toucher à tout ! », juge le comédien et metteur en scène.
Selon lui, les autorités sont même ouvertes. « Il y a des ministres, la famille présidentielle qui arrivent régulièrement au festival Toseka, et je pense qu’ils sont les premiers à en rire ! Je pense qu’ils acceptent les humoristes comme tels. Nous n’avons pas peur : on ne blesse pas, on ne fait que dire les choses. »