En Ouganda, le combat de Lydia Mungherera pour les femmes séropositives
En Ouganda, le combat de Lydia Mungherera pour les femmes séropositives
Par Sophie Boutboul (contributrice Le Monde Afrique)
Elle-même contaminée par le VIH, l’Ougandaise a créé des groupes de paroles auxquels participent des centaines de femmes.
Lydia Mungherera pendant une session de formation des mentors du Mama's Club, Bukedea, en Ouganda, le 29 mars. | Raphaël Fournier / Divergence
Longtemps, elle a passé sous silence sa séropositivité. Elle n’osait l’évoquer avec ses enfants, vivait dans la peur du rejet. Aujourd’hui, l’élégante Lydia Mungherera ne ressent plus aucune crainte à l’idée de raconter son histoire. En ce mois de mars brûlant, cette médecin, fondatrice du Mama’s Club, une ONG qui supervise des groupes de paroles de mères séropositives depuis 2004, rend visite à ses équipes dans les centres de santé du district de Bukedea, au sud-ouest de l’Ouganda.
Dans le village de Kidongole, sur une route ocre et bosselé, un taureau et des chèvres sortent du jardin du dispensaire, alors que la voiture de Lydia y pénètre. Des baraquements aux toits bariolés accueillent une poignée de brancards. « Je me déplace trois fois par an à travers le pays pour rencontrer nos mères et m’assurer qu’elles tirent des effets bénéfiques de nos programmes dans leur quotidien, car le VIH change tous les aspects sociaux d’une vie », pointe Lydia, 57 ans, en cafetan vert et rouge aux motifs de plumes de paon.
Traitement antirétroviral gratuit
A l’ombre d’un arbre aux fleurs écrues, Lydia salue Rose, membre du Mama’s Club depuis deux ans. Dans sa robe scintillante, Rose, 40 ans, s’agenouille devant elle, la remercie. « Regardez-moi, je suis en pleine santé aujourd’hui, et j’ai huit enfants, tous négatifs, lui sourit-elle. J’ai subi beaucoup de discriminations dans mon village mais je me suis libérée en dévoilant mon statut, grâce au soutien des autres adhérentes. » Un vendredi par mois, comme les six cents mères et pères de ce district, après avoir récupéré son traitement antirétroviral gratuit, Rose échange pendant deux heures avec d’autres familles sur son parcours, ses difficultés, sous la houlette d’infirmières. « Discuter avec les patientes et leur conjoint devient plus simple comme ils sont plus ouverts », reconnaît Beatrice, aide-soignante à Bukedea.
En Ouganda, les malades du cancer ne peuvent plus se soigner
Durée : 02:20
L’idée des groupes de paroles voit le jour dans la tête de Lydia en 2003, lorsqu’elle officie au Murako Hospital de la capitale Kampala, pour l’organisation de soutien aux malades du sida. Elle y constate un manque dans la prise en charge des aspects psychosociaux du VIH pour les jeunes mères. « Je recevais des femmes séropositives enceintes. Elles étaient vulnérables et personne ne prenait le temps de les aider à comprendre pourquoi elles avaient été infectées et comment aborder le sujet avec leurs proches », retrace Lydia, dans un débit accéléré, le regard fixe derrière ses lunettes de vue. Elle demande alors aux infirmières d’établir une liste des femmes en cours de grossesse et avec des enfants de moins de 3 ans. Lydia en réunit une cinquantaine et forme ainsi le premier Mama’s Club. « Ces femmes se sont confiées sur des stigmatisations de sages-femmes, sur les violences de leur compagnon et moi je leur ai aussi fait part de mon passé difficile », se remémore Lydia.
Lydia est née à Jinja, la ville où le Nil prend sa source. Elle grandit à Kampala. Sa mère y dirige alors une association de lutte des droits des femmes, et son père est chargé du développement de la culture pour le gouvernement. Lors de ses études de médecine communautaire à l’université de Makerere, Lydia rencontre son compagnon avec qui elle part exercer en Afrique du Sud en 1987, où elle donne naissance à Daniel et Diana.
En 1992, son mari meurt brutalement d’une tuberculose. « En tant que médecin, on savait que cela pouvait être causé par le VIH, mais on était terrifié de se faire tester. Je pense que l’on était tout simplement dans le déni », décrypte Lydia, jamais remariée. En 1997, elle souffre à son tour d’une tuberculose et de démence. A l’hôpital, ses médecins lui apprennent sa séropositivité et la déclarent en phase terminale. Sa sœur, elle aussi praticienne, débarque à Pretoria et la rapatrie en Ouganda. Elle vient d’assister à une conférence au Canada sur les antirétroviraux et se débrouille pour lui en obtenir.
1,5 million de personnes contaminées
« C’était 1000 dollars par mois, on a dû emprunter de l’argent dans la famille, ma mère a vendu des terres et cela m’a sauvé », appuie Lydia. Elle traverse une période de dépression. Très entourée par sa famille, elle rebondit, devient médecin pour The Aids Support Organization (Taso), puis coordinatrice internationale. « Les défis sur les droits des femmes sont partout. Leur apprendre qu’elles peuvent dire non au sexe sans protection est essentiel quand beaucoup pensent, à cause de leur éducation, qu’elles doivent dire oui à tout », articule l’autoritaire Lydia, dont l’association, basée à Kampala, ne reçoit aucune aide de l’Etat, bien que 150 000 enfants vivent encore avec le VIH dans le pays, sur les 1,5 million de personnes contaminées.
La fille et le fils de Lydia, trentenaires désormais, sont tous deux séronégatifs. Lydia l’a appris lors de leur départ avec leur tante pour la Nouvelle-Zélande, le pays imposant un test obligatoire avant toute installation. « J’aurais attendu qu’ils aient 18 ans pour le test et qu’ils en décident par eux-mêmes », note Lydia, qui reste très proche d’eux.
Jamais sans son téléphone, Lydia se définit comme une accro au travail. Elle répond parfois à des mails des Etats-Unis en pleine nuit ou participe à des téléconférences à 2 heures du matin. « Pour atteindre notre objectif d’éradication de la transmission du virus de la mère à l’enfant, il faut batailler sans cesse, assène Lydia. Nous essayons que le plus de monde entende notre message, dans les villes, les campagnes, sur les marchés, où des groupes de théâtre du Mama’s Club se produisent pour inciter au dépistage. Nos mères y diffusent leur histoire et notre message : même avec le VIH, on peut mener une vie libre et positive. »