On compte 27 % d’élues  à l’Assemblée nationale  et 25 % au Sénat. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Par Michèle Rivasi, députée européenne et vice-présidente du Groupe Verts/ALE

S’il faut saluer le courage des femmes qui ont rompu la loi du silence et permis que « la honte change de camp » en libérant la parole sur les agressions sexuelles subies, le fait que ces victimes − pourtant féministes − aient longuement hésité avant de dénoncer le harcèlement dont elles ont été la cible doit nous interroger sur les mécanismes internes dans un parti qui ont conduit à cette situation, mais aussi plus globalement sur les rouages de la domination masculine qui continue à sévir, malgré la loi sur la parité dans le champ politique.

Comment en effet, dans un parti ayant été pionnier en matière de lutte contre les discriminations entre les hommes et les femmes, ayant inscrit dans ses statuts la parité dès sa naissance en 1984, tant de femmes ont-elles pu minorer et s’autocensurer en enfouissant des faits que l’on ne peut que qualifier d’agressions sexuelles caractérisées ? Comment ont-elles pu se résigner à monter des stratégies pour éviter leur prédateur ? Comment certains, forcément au courant, ont-ils pu se rendre complices en excusant ces comportements, se disant − sûrement par lâcheté − que d’autres les prendraient en charge ?

Cette coupable négligence collective naît peut-être d’une certaine culture libertaire chez les écologistes, valorisant la libéralisation des mœurs sans mettre de barrière franche entre ce qui est permis et proscrit en matière de relations entre les hommes et les femmes. D’aucuns ont estimé que si les faits étaient si graves, il y aurait des suites judiciaires. D’autres enfin ont certainement pensé qu’il s’agissait d’un acte isolé malgré les rumeurs insistantes…

L’Etat et l’école

Il y a aussi une part de retenue chez les victimes, toutes militantes ou élues politiques, en raison d’une certaine violence symbolique qui s’impose. Une femme politique qui évolue dans un milieu à dominante masculine, entourée de dinosaures qui sont là depuis des décennies et qui connaissent tous les rouages de l’institution, a besoin de montrer qu’elle est forte et ne doit pas être vue comme une victime.

Au-delà des faits, il y a dans la vie politique française un sexisme ordinaire que l’on ne retrouve ni dans d’autres pays, ni au Parlement européen, que je fréquente depuis sept ans.

On se souvient de la pique paternaliste et humiliante adressée par l’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg à une journaliste : « Elle est toujours comme ça la petite ? » ; mais aussi des caquètements de poule du député Les Républicains Philippe Le Ray à l’encontre de sa consœur Véronique Massonneau (EELV) ; des quolibets endurés par la ministre Cécile Duflot au regard de sa robe à fleurs à l’Assemblée en 2012. La même année, le député LR Bernard Debré s’était illustré en affirmant à propos de la candidature de Rachida Dati à la présidence de l’UMP : « Je ne suis pas sûr que Vuitton ou Dior aient leur place à ce niveau-là. » Enfin, très récemment, Patrick Ollier (ancien président de l’Assemblée nationale) a écrit ce tweet d’un sexisme absolu à propos de la venue de Pamela Anderson dans les locaux du Palais Bourbon pour dénoncer le gavage des oies : « Pas de silicone dans le foie gras. Qu’elle continue à courir. Ça nous rappellera des souvenirs. »

Dans son ouvrage La domination masculine, Pierre Bourdieu nous appelait à explorer les structures symboliques de l’inconscient andro-centrique qui survit chez les hommes et chez les femmes. Il invitait également les féministes à investir, à côté du champ principal domestique de perpétuation des rapports de domination, deux instances fondamentales de reproduction des mécanismes de domination : l’Etat et l’école.

Revoir la durée de prescription

Pour lutter contre l’omerta et pousser les victimes de harcèlement à parler, il apparaît nécessaire que les corps intermédiaires (partis, syndicats, ONG), les entreprises et les administrations se dotent d’instances de type comité d’éthique capable de recevoir, d’écouter et d’orienter les personnes victimes de violences sexuelles qui hésitent souvent à franchir le pas de la plainte pénale.

Il y a aussi nécessité de revoir la durée de prescription des crimes et des délits en matière de violences et de harcèlement sexuel : faire courir la prescription à partir du moment où les faits sont dénoncés ou doubler les délais de prescription à 6 et 20 ans pour le délit de harcèlement sexuel et le crime de viol.

Sur le plan de la réforme institutionnelle, la parité réelle (possible avec l’instauration d’un mode de scrutin binominal pour les législatives) − rappelons qu’il n’y a que 27 % de femmes à l’Assemblée et 25 % au Sénat − et la fin du cumul des mandats (dans le temps notamment) permettra une nouvelle respiration démocratique, un renouvellement, une féminisation et un rajeunissement du personnel politique peut-être plus propice à respecter l’égalité des sexes.

Enfin, peut-être pourrions-nous, sans tomber dans un puritanisme à l’anglo-saxonne, rapprocher notre législation de celle des Etats-Unis, qui distingue deux types de harcèlement sexuel : lorsqu’un un supérieur vous pénalise si vous refusez ses avances sexuelles, ou lorsque des comportements à caractère sexuel de la part d’autres employés créent un environnement de travail hostile et dégradant.

Le droit français en a une définition bien plus étroite : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Aussi, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes estime qu’il est plus difficile de mettre en cause la responsabilité de l’employeur en France, car « les conseillers de prud’hommes sont peu formés à la recherche de la preuve dans ce domaine, et dubitatifs face à la réalité dénoncée par la salariée ».

Puisse la parole publique de nos lanceuses d’alerte contre les prédateurs sexuels libérer d’autres femmes victimes de ces violences qui portent atteinte à la dignité humaine, et permettre un renforcement de notre arsenal législatif.