Céline L’Hostis et Benoît Goffin, anciens directeurs adjoints de l’Institut français de Groningue (Pays-Bas)

Au cœur d’Amsterdam, depuis bientôt quatre siècles, se dresse fièrement un magnifique ensemble architectural du Siècle d’Or néerlandais : la Maison Descartes. Propriété de la France, ce noble bâtiment qui abrite l’Institut français des Pays-Bas et le Consulat Général, est pourtant mis en vente par l’État français et condamné à la fermeture définitive le 30 juin prochain. Sans plan de reprise, ses activités culturelles et ses cours de langues ne seront pas reconduits à la rentrée ; ses 30 employés locaux et professeurs risquent le licenciement.

Coûteuse en entretien et en rénovation, la Maison Descartes nécessite aujourd’hui une réfection importante pour continuer à accueillir son public. Pourtant la logique budgétaire courttermiste qui prévaut à la décision de fermeture ne saurait prendre le pas sur la nécessité pour la France de conserver, de protéger et de valoriser l’héritage qui lui échoit. Vendre ce patrimoine exceptionnel serait un renoncement pour l’État. Le bâtiment, ancien hospice wallon francophone, a été acquis par la France en 1966, sous l’influence d’André Malraux, pour y transférer le centre culturel français, trop à l’étroit dans ses anciens locaux.

Ainsi l’Institut français est aujourd’hui installé dans un bâtiment où la langue française est parlée en continu depuis près de 400 ans. Les impressionnants 4 000 m² de la Maison Descartes témoignent encore de ce riche passé : les activités culturelles se déroulent sous les portraits des Régents, encore accrochés à leur emplacement d’origine. La cuisine, qui s’ouvre sur un magnifique jardin à la française, a conservé ses carreaux d’origine en faïence de Delft. Dans l’une des quatre ailes qui entourent ce jardin, une salle de cinéma accueillait jusqu’à il y a peu des projections françaises, très prisées du public amstellodamois. Elle jouxte une médiathèque récemment rénovée, lumineuse et colorée, qui met à disposition du public de nombreux livres, documents et DVD.

Un Institut très actif

Pourtant, au lieu d’entretenir et de valoriser, y compris sur le plan financier, cet espace exceptionnel au cœur de la capitale néerlandaise et d’en exploiter les potentialités, la France s’apprête à renoncer à ce patrimoine unique en le mettant en vente. La fermeture de la Maison Descartes signifie également la disparition des activités de l’Institut français qu’elle abrite. Pourtant cette institution, qui fait partie des premiers établissements culturels fondés par la France, est un atout fort de la relation franco-néerlandaise.

Ses salles accueillent des activités nombreuses : rencontres littéraires, conférences scientifiques, colloques, expositions et séminaires. Des coopérations scolaires, universitaires et de recherche sont impulsées et développées au sein même de ses murs. L’Institut assure également la promotion de la France, de son image et de son attractivité. Quant à son centre du livre, il a œuvré jusque récemment à la diffusion de la littérature francophone en favorisant la traduction d’ouvrages. Les cours de langues comptent près d’un millier élèves à Amsterdam. Son antenne de Groningue, au nord du pays, décline ces mêmes actions linguistiques et culturelles. Ces activités participent au renforcement des relations étroites, y compris commerciales et économiques, qui unissent nos deux pays.

Quand la culture française trouve un large écho dans la capitale néerlandaise, quand Amsterdam n’est qu’à 3 h 15 de Paris par le Thalys, l’État français ne peut pas renoncer à son meilleur outil de coopération et de politique extérieure. Les Pays-Bas sont le 7e partenaire économique de la France, quand nous sommes pour eux le 4e. Les potentialités sont vastes mais leur concrétisation ne pourra se faire sans la vitrine exceptionnelle que constituent la Maison Descartes et l’Institut français des Pays-Bas. Fermer cette institution solidement ancrée dans le paysage néerlandais, sans aucun plan de reprise ni pour les cours de langue ni pour les activités culturelles, vouerait à la disparition non seulement ses activités mais aussi le réseau francophone et francophile qui les porte.

Si l’ambassade poursuivra le pilotage de certaines actions de coopérations depuis la Haye, la présence française dans la capitale perdra de son impact auprès du grand public, qui n’aura plus de lieu d’accueil à sa disposition. Ironie du calendrier, la Maison Descartes doit fermer ses portes alors que se déroule actuellement une année économique entre la France et les Pays-Bas, visant à renforcer les liens commerciaux, technologiques et économiques. Le 30 juin, la Maison Descartes doit rester ouverte et accueillir son public pour continuer à faire vivre le réseau culturel, scientifique et économique qu’elle soutient et dynamise. Si elle a vocation à se moderniser et à évoluer, elle doit néanmoins perdurer comme un espace de création, de dialogue et d’échanges entre nos deux pays. À ce titre, la fermeture de l’Institut néerlandais à Paris fin 2013 s’est traduite par une continuité de beaucoup de ses activités, notamment culturelles et linguistiques, grâce à une réorganisation et une modernisation de son fonctionnement.

La vague de fermeture qui touche les instituts français est inquiétante en ce qu’elle fragilise le positionnement stratégique de la France dans le monde autour de ses atouts que sont l’Europe et la francophonie. Pire, elle est un signal négatif fort à l’heure où les solidarités européennes et internationales se fragilisent face à la montée du repli identitaire. Ces ventes du patrimoine français à l’étranger ne sont pas destinées à réaliser de nouveaux investissements, qui pourraient s’inscrire dans une vision stratégique à long terme. La France cède aujourd’hui ses trésors immobiliers dans le seul but de couvrir ses dépenses courantes. Or, les instituts culturels français à l’étranger constituent un réseau unique au monde : à ce titre, ils doivent rester ouverts pour continuer à rendre possible la coopération, les débats d’idées et la rencontre des cultures. L’institut français des Pays-Bas est l’une de ces multiples et précieuses institutions.

Parce que la France croit aux vertus des échanges, de la coopération et de la recherche, parce qu’en ces temps troublés elle lutte pour la diversité et la solidarité, elle doit maintenir ouvert l’Institut français des Pays-Bas et préserver, au sein de la Maison Descartes, ce lieu de culture, de rencontre et de dialogue.

Ont également signé ce texte :

Danielle Bourgois ; ancienne responsable du Centre français du livre d’Amsterdam ; Stéphane Cazes, réalisateur ; Philippe Claudel ; écrivain, réalisateur, membre de l’Académie Goncourt ; Jean-Pierre Cuq, professeur des Universités ; Roberto Dagnino, directeur du département d’études néerlandaises à l’Université de Strasbourg ; Margot Dijkgraaf – Auteure, critique et journaliste littéraire ; Adriaan van Dis, écrivain ; Jérôme Ferrari, écrivain, prix Goncourt 2012 ; Clémence Laffon Benjamin Boutin, fondateurs et rédacteurs de CanalDutch ; Fouad Laroui, écrivain et professeur à l’Université d’Amsterdam ; Bernard Meunier, directeur de recherche émérite, membre de l’Académie des Sciences ; Alicia Montoya, Directrice du Kenniscentrum Frankrijk-Nederland de l’Université de Nimègue ; Philippe Noble, ancien directeur de la Maison Descartes et traducteur ; Henk Pröpper - Président de la Fondation Prins Claus, directeur de la maison d’édition De Bezige Bij et ancien directeur de l’Institut néerlandais de Paris ; Catherine Secretan, directrice de recherche au CNRS et lauréate 2007 du prix Descartes-Huygens Benoît Viollet, directeur de recherche à l’INSERM ; Caroline Van Eyck, professeur à l’Université de Leyde et lauréate 2013 du prix Descartes-Huygens ; Willem Vos - Physicien, expert en nanophotonique à l’Université de Twente, lauréat 2014 du prix Descartes-Huygens ; Rudi Wester ; écrivain, journaliste littéraire et ancienne directrice de l’Institut néerlandais de Paris