Le tirage au sort des étudiants à l’université, une pratique en hausse
Le tirage au sort des étudiants à l’université, une pratique en hausse
Par Séverin Graveleau
Dans quelles conditions un tirage au sort peut-il être mis en place à l’entrée en licence ? Quelles sont les filières les plus concernées ? Le point après la polémique suscitée par l’évocation de tirage au sort des étudiants de médecine franciliens.
Des étudiants en première année commune aux études de santé (Paces), à Marseille en 2012. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
« Je ferai tout pour que le tirage au sort pour accéder en première année de médecine n’existe jamais : il n’y a pas plus stupide comme moyen de sélection. » C’est Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, qui l’a affirmé au quotidien Libération en fin de semaine dernière pour éteindre la polémique suscitée mercredi 4 mai par un article du Monde.fr. Reste que cette pratique, récente, est de moins en moins exceptionnelle pour l’entrée à l’université. Etat des lieux alors que les futurs bacheliers sont, pour la première fois, confrontés à la mise en place d’un nombre limite d’étudiants en première année commune aux études de santé (Paces) en Ile-de-France.
Dans quelles conditions le tirage au sort peut-il être pratiqué ?
« Le premier cycle [licence] est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat… », stipule l’article L612-3 du code de l’éducation, qui constitue l’un des piliers du système universitaire à la française. Et un principe qui a, entre autres, permis la massification de l’enseignement supérieur depuis cinquante ans, avec aujourd’hui plus de 2 millions d’étudiants. Mais c’est aussi devenu le cauchemar des doyens des filières universitaires les plus demandées – comme la médecine –, qui doivent faire face à une augmentation régulière du nombre de candidats sans que les moyens pour y faire face suivent proportionnellement.
Sur place, les équipements des facs, les amplitudes horaires des enseignants, et les mesures de sécurité n’étant pas extensibles, les dirigeants d’université sont de plus en plus nombreux à utiliser la suite de l’article L612-3 du code de l’éducation, qui prévoit des restrictions à ce « droit » à la poursuite d’étude après le baccalauréat :
« Lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, constatées par l’autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de cet établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci. »
Le site Admission post-bac, qui permet aux bacheliers de se préinscrire dans le supérieur en formulant des vœux d’orientation et en les hiérarchisant, effectue le tri, en donnant la priorité aux jeunes ayant passé le bac dans l’académie. Puis, s’ils sont trop nombreux, uniquement ceux parmi eux ayant mis cette formation en vœu 1.
Mais lorsque ces derniers sont encore trop nombreux par rapport aux capacités d’accueil fixées, le seul moyen juridique légal de sélectionner les candidats, sans autre critère de sélection, est le tirage au sort. Une solution « juste », qui met tous les étudiants sur le même plan, mais « inéquitable » dans la mesure où elle ne tient pas compte des compétences et efforts de chacun. Donc une solution politiquement explosive.
C’est ce qui explique l’empressement du ministère et du rectorat à circonscrire l’incendie la semaine dernière, en affirmant qu’il « n’y aura [it] pas de tirage au sort » à la rentrée prochaine en première année commune aux études de santé (Paces) en Ile-de-France. Et ce, malgré l’instauration nouvelle d’« une capacité d’accueil limitée », fixée pour l’instant à « 7 500 candidats ». Il n’empêche, le rectorat de Paris vient de se doter, pour la première fois, de cet instrument légal pouvant déboucher, en cas de nouvelle hausse des effectifs, ou en cas de baisse de cette capacité d’accueil, à un tirage au sort.
Quelles sont pour l’instant les filières concernées par ces « capacités d’accueil limitées » ?
Qui dit « capacité d’accueil limitée « dit donc « tirage au sort envisageable ». C’est en tout cas toujours l’étape préalable. Et les très nombreux étudiants des filières universitaires dites « en tension », les plus concernées, le savent, autant qu’ils redoutent de voir leur avenir « se jouer au hasard » arguent-ils régulièrement. On compte justement dans ces filières en tension la Paces (17,3 % des demandes APB en 2015). Mais aussi le droit (12,1 %), la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps, 10,7 % des demandes) ou encore la psychologie (7,7 %).
Selon le syndicat étudiant Unef, qui a réalisé une enquête sur le sujet, 54 universités sur 74 ont pratiqué la sélection à l’entrée de la licence à la rentrée 2015. Contre 33 en 2014, et 27 en 2013. « 190 mentions de licences ont déclenché le tirage au sort l’année dernière », explique Cassandre Bliot, la responsable des questions universitaires du syndicat. Cela représente ainsi plus de 10 % des 1 800 licences existantes. Une situation « exceptionnelle, » dans la mesure où, « il y a deux ou trois ans, presque aucune fac ne parlait de tirage au sort », estime-t-elle.
Le ministère gardant secrète la liste complète des formations ayant passé le cap du tirage au sort face à l’afflux de candidats, il n’est pas facile d’établir un état des lieux précis. « Il ressort de notre travail de recherche, quelque peu artisanal, que les filières en tension sont effectivement principalement ciblées », ajoute Cassandre Bliot. Ce que confirmait en partie au Monde en février le ministère, précisant que « la moitié » de ces 190 formations provenaient de la filière Staps. Seules huit facs de sport sur cinquante ne sélectionnent pas leurs étudiants.
Quelles alternatives proposent le gouvernement, les syndicats étudiants et les présidents d’universités ?
Selon le ministère, pour qui « il n’y a rien de moins discriminant que ce tirage aléatoire » lorsque les critères de l’académie et du rang de vœu ont été utilisés, le tirage au sort ne concernait « même pas 1 % » des candidats sur APB en 2015. Un chiffre qu’il affirme vouloir réduire.
Du côté des organisations syndicales étudiantes, la dénonciation du tirage au sort, toutes filières confondues, fait l’unanimité. C’est du côté des alternatives à celui-ci que des divergences, historiques, apparaissent, sur fond de débat tout aussi ancien sur la nécessité d’une sélection ou non à l’entrée à l’université. Les réactions au récent débat sur la Paces en Ile-de-France n’ont pas dérogé à la règle.
« Il faut prendre le taureau par les cornes et augmenter les capacités d’accueil lorsqu’il y en a, pour ne pas avoir à déclencher le tirage au sort », insiste Cassandre Bliot, de l’Unef. Son syndicat demande aussi de « débloquer des moyens supplémentaires » pour répondre à l’augmentation des étudiants (+ 40 000 en 2015-2016) et éviter les « pires solutions » que sont la « sélection ou l’orientation forcée » en première année de licence. On retrouve sensiblement le même discours du côté de la Fage, deuxième syndicat étudiant le plus représentatif, qui demande « un milliard d’euros supplémentaire pour l’enseignement supérieur ».
Concernant la Paces, le syndicat UNI, classé à droite, demande de son côté au gouvernement de réfléchir à une présélection avant l’entrée en première année, « comme le suggère l’ordre des médecins », rappelle-t-il. Mais aussi d’ouvrir plus largement « un vrai débat sur la sélection ». Les doyens des facs de médecine défendent quant à eux une multiplication des « passerelles entrantes et sortantes », pour intégrer des profils différents et permettre aux étudiants qui échouent en Paces de se réorienter facilement.
Du côté des responsables des établissements, la conférence des présidents d’université (CPU) ne parle pas, pour ce qui est de la licence, de sélection en tant que telle dans les différentes filières, mais défend depuis quelques années la possibilité d’établir des « prérequis » que devraient avoir les candidats – un certain niveau d’anglais pour les licences langues étrangères, par exemple. Une proposition reprise il y a quelques jours dans un rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche sur « l’affectation en première année de licence dans les formations à capacités d’accueil limitées ». Un rapport auquel le ministère, déjà bien occupé par le débat autour de la sélection en master, a immédiatement donné une fin de non-recevoir.