« Les jeunes gens autistes peuvent faire preuve de capacités insoupçonnables »
« Les autistes peuvent faire preuve de capacités insoupçonnables »
Propos recueillis par Sylvie Kerviel
Gilles Roland-Manuel, fondateur du Festival Futur composé, plaide pour les liens entre culture et handicap mental.
Gilles Roland-Manuel, fondateur et président de l’association et du Festival Futur composé. | FUTUR COMPOSÉ
Entretien avec le psychiatre Gilles Roland-Manuel, créateur du Festival Futur composé qui, depuis 2000, présente tous les deux ans des spectacles et créations artistiques menés conjointement par des personnes autistes, accompagnées de leurs éducateurs, et des artistes professionnels. L’édition 2016 a lieu du 17 mai au 30 juin dans différents lieux parisiens.
Le Festival Futur composé tient sa neuvième édition. Comment a-t-il évolué depuis sa création ?
Il a évolué d’un mode assez artisanal à des activités plus structurées, concernant un nombre croissant d’établissements qui accueillent des jeunes gens autistes. Depuis quelques années, nous présentons des créations, ce qui demande beaucoup plus de temps et de moyens que d’acheter des spectacles « clé en main ». Mais le principe de base demeure le même : fédérer des activités de petits ateliers qui travaillent toute l’année dans des domaines artistiques divers : théâtre, musique, arts plastiques, etc. On compte aujourd’hui une quarantaine de structures accueillant ces ateliers.
Avez-vous le sentiment que le regard des gens sur les personnes autistes a changé grâce à ces manifestations artistiques ?
Ce serait bien prétentieux de l’affirmer et, sauf avancée brusque et spectaculaire des prises en charge – ce qui me paraît à l’heure actuelle peu probable –, ce regard évoluera lentement.
L’autisme n’est pas une maladie, mais un syndrome lié à des causes extrêmement diversifiées. Or, le regard porté sur ce syndrome est très intimement lié aux causes qu’on lui attribue. Il en va de même des différents types de prise en charge qui sont eux aussi très dépendants de ce regard. Ce qui me paraît certain, c’est que ces expériences artistiques révèlent qu’au prix d’un encadrement adéquat, ces jeunes gens dits « incapables majeurs », peuvent révéler des capacités insoupçonnables, ce qui pose question sur notre « incapacité majeure » à souvent répondre à leurs besoins. Il faut donc explorer, explorer encore, et travailler beaucoup. Les éducateurs ont ici un rôle majeur à jouer.
Quelle tonalité particulière a ce festival ?
Ce que nous recherchons, c’est que ce festival ait une personnalité forte dans le domaine culturel, mais pas forcément une tonalité particulière. Notre objectif consiste à tenter de faire aller de soi, ce qui, pour beaucoup de gens est – à tort – inconcevable : créer des spectacles d’une authentique qualité avec des personnes handicapées. Nous tentons donc de ne pas miser sur la compassion. Notre festival n’est pas un festival pour handicapés. Ils y ont une place très importante, privilégiée, mais ils la partagent avec d’autres amateurs et des professionnels parfois très aguerris. Je dirais que s’il y a une tonalité particulière, c’est peut-être d’avoir réussi ce partage, a priori impossible, et que chacun – eux comme nous –, bénéficie d’un mieux-être, d’une rupture d’isolement.
Accompagner des personnes autistes dans une entreprise artistique demande un gros investissement humain…
Effectivement, l’accompagnement humain est la clé de la réussite de cette démarche qui, si elle n’était pas soutenue par des compétences diversifiées et complémentaires, ne pourrait aboutir. Je pense aussi bien au personnel éducatif, soignant, administratif (les directeurs) qui concourent tous de façon intensive, volontariste, à dépasser des obstacles incroyablement nombreux et complexes. Les difficultés des jeunes, bien réelles, ne constituant d’ailleurs pas les entraves principales. Je constate d’ailleurs avec grand bonheur que des équipes ayant des modes de prise en charge très différents (donnant lieu parfois à des conflits extrêmement vifs) travaillent au sein du Futur composé dans une collaboration fluide et pacifique.
L’expression artistique permet-elle à une personne autiste de sortir de l’isolement dans lequel elle se trouve ?
C’est très exactement le but recherché, et c’est en effet à ce niveau que le bénéfice semble être le plus probant. Les troubles de la communication constituent un problème que chacun s’accorde à reconnaître comme une caractéristique importante et commune à toutes les formes d’autisme. Or, comment voulez-vous communiquer avec l’autre quand vous êtes seul ? Je pense que l’affirmation selon laquelle le théâtre, la musique ou la peinture peuvent éradiquer les symptômes autistiques est une imposture mais en revanche, ils participent à certains progrès importants dans le domaine rationnel, l’utilisation du langage, certaines performances pragmatiques, le repérage temporo-spatial, les tendances dépressives, etc. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais, surtout, les pratiques artistiques changent la vie des personnes impliquées, y compris la nôtre et celle des artistes professionnels.
En France, les institutions en charge des personnes autistes prennent-elles suffisamment en compte ce bénéfice que peut représenter la pratique artistique ?
En France, les établissements spécialisés accordent de plus en plus d’importance aux activités artistiques sous des formes très variées. Là où le bât blesse, c’est du côté des pouvoirs publics, gauche et droite confondues. A ce titre, je regrette infiniment que les deux ministères concernés par notre festival – culture et handicap – ne donnent aucune subvention pour ce festival 2016, alors même qu’ils le parrainent. Le nombre d’ESAT (Etablissements et services d’aide par le travail) artistiques se comptent en France sur les doigts d’une main. Il existe dans l’Hexagone un seul loyer d’aide médicalisé (FAM) dédié à la musique, qui accueille le groupe Percujam, fédéré dans le Futur composé.
Pourtant, le seul exemple de La jeune femme à la licorne , travail de l’ESAT de la Bulle bleue à Montpellier qui se produira le 14 juin dans le cadre du Festival, au Théâtre du Carreau du temple à Paris, devrait suffire à témoigner de l’extraordinaire qualité du travail qui peut être accompli dans ce type de structures et la nécessité de les soutenir. Mais en dehors de la Mairie de Paris – notre soutien budgétaire de loin le plus important – et de la région Île-de-France, tous nos financements sont privés – fondation, association, mécénat, divers. Un changement de regard serait également bienvenu de ce côté. Nous sommes persuadés que ce festival 2016 y contribuera.
Affiche du Festival Futur composé. | FUTUR COMPOSÉ