Selon Amnesty International, l’état d’urgence conduit à des abus contre des réfugiés
Selon Amnesty International, l’état d’urgence conduit à des abus contre des réfugiés
Par Alban Mery de Montigny
L’ONG remet jeudi une pétition au président de l’Assemblée nationale appelant les parlementaires à s’opposer à la prolongation de l’état d’urgence.
Manifestation contre l’état d’urgence le 25 mars à Paris. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Alors que le Sénat a voté mardi 10 mai la prolongation pour deux mois de l’état d’urgence, et que l’Assemblée nationale s’apprête à se prononcer le 19 mai, Amnesty International dénonce à nouveau « la pérennisation d’un régime aux conséquences extrêmement lourdes pour les droits humains ». L’organisation devait remettre jeudi 12 mai à Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, une pétition signée par plus de 60 000 personnes, « appelant les parlementaires à garantir les libertés et les droits humains de tous ».
L’état d’urgence, instauré après les attentats du 13 novembre, renforce les pouvoirs de police administrative sans contrôle judiciaire – perquisitions de jour et de nuit, assignations à résidence, interdictions de rassemblements, fermetures de lieux…
Amnesty International, qui avait déjà publié en février un rapport sur les abus de cette mesure, a mis en lumière d’autres dérives, présentées jeudi lors d’un point presse. L’organisation révèle que des réfugiés qui ont été sous le coup d’une assignation à résidence, désormais levée, ont reçu une convocation de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). L’organisme les a informés qu’une procédure de retrait de leur statut de réfugié avait été enclenchée. Sans ce statut, ils peuvent être renvoyés dans leurs pays d’origine. « Selon la convention de 1951, on a la possibilité de retirer le statut de réfugié quand il existe des raisons sérieuses de penser qu’une personne a commis un crime international. Or ces réfugiés ne sont pas dans cette situation », souligne Dominique Curis, responsable des questions de liberté au sein de l’ONG.
Des réfugiés qui craignent d’être expulsés
Pour l’organisme, ces révisions du statut de réfugié ne seraient pas plus fondées que les assignations à résidence qui ont visé ces étrangers. « Si l’on ne connaît pas la nature des éléments et informations sur lesquelles sont basées les procédures administratives, il semble qu’elles aient été enclenchées sur la base des mêmes informations vaguement formulées provenant des services de renseignement », précise Amnesty International dans un communiqué.
L’organisme avait déjà pointé du doigt par le passé le recours aux « notes blanches » des services de renseignement, ces fiches anonymes et non sourcées, utilisées « comme unique base d’information pour ordonner des mesures restrictives dans le cadre de l’état d’urgence ». Actuellement 68 personnes sont encore assignées à résidence.
Lioma, un réfugié tchétchène qui réside en France depuis plusieurs années, a fait l’objet d’une assignation à résidence levée par la suite. Son statut de réfugié pourrait lui être retiré. Amnesty International a recueilli son témoignage. « Au rendez-vous avec l’Ofpra, on m’a accusé d’être parti en Syrie, ce qui est totalement faux. D’ailleurs ils n’ont présenté aucune preuve. Je suis allé en Turquie plusieurs fois entre 2011 et 2014 pour des raisons professionnelles, puis j’ai changé de secteur et je n’y suis donc plus retourné. Là, je ne sais plus quoi faire. J’attends la décision de l’Ofpra, j’ai très peur d’être renvoyé en Russie », raconte-t-il au personnel de l’ONG.
Sans statut et sans emploi
Islam, un autre réfugié tchétchène, se retrouve dans la même situation. « Mes parents en Tchétchénie continuent d’être harcelés par les Russes qui veulent savoir où je suis, ce que je fais. Je ne peux absolument pas y retourner », a-t-il indiqué à Amnesty. Il saura dans un mois s’il perd l’asile en France. Il est aujourd’hui sans travail. En décembre, le Conseil national des activités privées de sécurité avait suspendu son autorisation d’exercer en tant que vigile. Peu de temps après, il avait fait l’objet d’une assignation à résidence. Celle-ci a été levée le 26 février, mais il n’a pas eu l’autorisation de travailler à nouveau dans le secteur de la sécurité.
Comme lui, de nombreuses personnes devant respecter une assignation à résidence ont perdu leur emploi. « Leur vie ne revient que rarement à la normale, explique dans un communiqué Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. Elles sont aujourd’hui confrontées à une forte stigmatisation qui impacte lourdement leur capacité à gagner leur vie et plonge nombre d’entre elles dans la précarité. »