Alain Juppé affiche une image de fermeté pour ne pas se laisser déborder sur sa droite
Alain Juppé affiche une image de fermeté pour ne pas se laisser déborder sur sa droite
Par Matthieu Goar
Depuis une semaine, le candidat à la primaire multiplie les interventions sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme. En arrière-plan se joue l’affrontement avec Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé au salon Eurosatory à Villepinte (Seine-Saint-Denis), le 16 janvier. | PATRICK KOVARIK / AFP
En ces temps où le mot « guerre » revient dans toutes les bouches, un lieu a été très fréquenté cette semaine par les politiques : le salon Eurosatory. Au parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis), la fine fleur des industries d’armement et de sécurité y dévoile ses dernières nouveautés. Mercredi 15 juin, Marine Le Pen et François Fillon y ont déambulé entre drones et hélicoptères, pour montrer une image de fermeté ou préparer une campagne de la primaire. Jeudi, Alain Juppé y a croisé Emmanuel Macron. Au milieu des caméras, les deux hommes ont échangé une poignée de main fraîche et un « bonjour » poli. Le candidat à la primaire a finalement changé son itinéraire, histoire de ne pas avoir à visiter le stand des missiles MBDA en compagnie du ministre de l’économie. Ces hommes ont tous deux quelques ennemis à écarter pour assouvir leurs ambitions. Pas au point de se montrer côte à côte…
Comme du temps où il était ministre de la défense, Alain Juppé a visité un véhicule blindé Griffon, observé le canon Caesar, essayé des lunettes binoculaires à vision nocturne tout en endurant les questions des journalistes : « Vous y voyez l’avenir ? », lui a lancé un cameraman. « Non, ce sont des appareils pour la nuit et il fait jour », a répondu l’ancien ministre de la défense, plus que jamais droit dans ses bottes. Trois jours après l’attentat meurtrier contre un couple de fonctionnaires de police, le maire de Bordeaux a conclu ainsi sa semaine par cette visite très martiale. « Nous sommes en guerre et la défense est un objet de consensus entre nous », confie au Monde l’ancien premier ministre à propos de ses rivaux à la primaire. « Nous vivons dans un monde instable où la France doit garder sa capacité de riposte, cela passe par un effort budgétaire qui doit tendre vers les 2 % du PIB. »
Les deux favoris se marquent
Depuis une semaine, Alain Juppé a durci son discours sur le sentiment national, la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Dimanche, dans une critique implicite au discours sarkozyste publiée sur son blog, il s’est refusé à « avoir l’identité malheureuse, frileuse, anxieuse, presque névrotique » tout en évoquant « l’élan du cœur que nous éprouvons lorsqu’on hisse le drapeau national ». Mercredi, interviewé sur RTL après l’attentat de lundi, il a demandé au gouvernement de faire le bilan public du dispositif présenté après les attentats du 13 novembre, réclamé l’expulsion des imams radicaux, développé son idée de créer un service de renseignement pénitentiaire tout en exigeant l’assignation à résidence des individus jugés dangereux.
Cette dernière idée avait déjà été exposée par Nicolas Sarkozy après les attentats du 13 novembre. S’ils ne vont pas aussi loin que les plus sécuritaires de leur camp qui veulent la création de centres d’internement, les deux favoris de la primaire semblent se marquer sur ces sujets-là. Dans une interview donnée à sept journaux européens, jeudi, M. Sarkozy récupère l’idée d’un service de renseignement puissant dans les prisons en allant un peu plus loin que l’ancien premier ministre puisqu’il veut sonoriser les cellules des détenus djihadistes. « Sur ce sujet, il n’y a pas une feuille de cigarette entre nous », estime pourtant M. Juppé.
Une actualité très sarkozyste ?
Décrit comme un modéré déconnecté de la réalité par les sarkozystes, le maire de Bordeaux sait que ce sujet sera un des thèmes importants de la primaire et qu’il ne peut pas apparaître en rupture. Dans son livre Pour un Etat fort (Ed. JC Lattès, 205 p., 12 euros), il développait déjà des propositions fermes comme l’arrestation des djihadistes de retour des terrains de combat et le rétablissement des peines planchers qui avaient été mises en place pendant le quinquennat de M. Sarkozy. Son activité médiatique de la semaine démontre qu’il est attentif à ne pas se laisser déborder par l’ancien président de la République qui rêve de créer un clivage avec lui sur ces sujets.
L’entourage de M. Juppé craint que l’actualité terroriste ne profite à l’ancien chef de l’Etat régulièrement placé devant le maire de Bordeaux sur la thématique de l’autorité dans les différents sondages d’opinion. « Dans cette période, les gens les plus radicaux qui parlent le plus fort sont souvent les plus entendus », analyse Arnaud Danjean, député européen juppéiste présent au salon Eurosatory. « Nous, nous ne sommes pas angélistes, nous sommes réalistes. Nous n’avons pas pris le parti d’avancer des propositions qui font plaisir mais qui sont impraticables. Et puis, il y a un moment où certains devront aussi faire face à leur propre bilan. » Une allusion à peine voilée à la baisse des effectifs dans les forces de l’ordre entre 2007 et 2012. « C’est une bonne chose que de recruter 8 500 fonctionnaires dans la police, la gendarmerie, l’administration pénitentiaire, la justice. Nous avions sans doute eu tort, avant 2012, d’en supprimer une dizaine de milliers », avait déclaré Alain Juppé, le 17 novembre, sur BFMTV.