L’ancienne première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, dans un bureau de vote, lors du référendum sur la nouvelle Constitution, à Bangkok, le 7 août. | Vicky Ge Huang / AP

Editorial. Les Thaïlandais sortent épuisés et ­lassés de ce qu’il est convenu d’ap­peler, à Bangkok, la « décennie perdue ». Depuis le coup d’Etat de 2006, qui a vu le renversement par l’armée du premier ministre Thaksin Shinawatra, un milliardaire populiste qui entendait élever le niveau de vie des paysans, le royaume est plongé dans une crise qui n’en finit plus, au gré des manifestations, des émeutes parfois réprimées dans le sang par l’armée et des putschs.

En approuvant à 62 %, dimanche 7 août, une réforme constitutionnelle qui apparaît comme l’une des plus liberticides de ­l’histoire contemporaine du pays, les Thaïlandais se sont d’abord prononcés pour un retour au calme.

Il est vrai que les divisions du pays sont profondes entre les élites richissimes, la classe moyenne et les paysans, entre le monde des villes et celui des campagnes, entre les intellectuels favorables à la démocratie et les tenants de « valeurs morales » conservatrices. La junte militaire et ses partisans estiment en effet que la démocratie n’a finalement servi à élire que des « corrompus » et de « mauvaises gens », à l’image de Thaksin Shinawatra. Désormais en exil à Dubaï, ce dernier reste le héros des campagnes. Sa sœur Yingluck, se réclamant de lui, est parvenue au pouvoir lors des élections de 2011, avant d’être détrônée à son tour lors du dernier putsch de 2014.

Selon la nouvelle Constitution, le gouvernement après les élections fin 2017 sera un cabinet sous contrôle et sous la menace constante de procédures de destitution

Selon la nouvelle Constitution, le gouvernement qui dirigera le pays après les futures élections, prévues avant la fin de 2017, sera donc un cabinet sous contrôle, sans marge de manœuvre et sous la menace constante de procédures de destitution. En outre, le nouveau système électoral désavantagera les grands partis et les forcera à former des coalitions gouvernementales fragiles et, sans doute, inefficaces.

Depuis la création de la monarchie constitutionnelle, en 1932, la Thaïlande change de Constitution comme de chemise, selon qu’un régime militaire ou un parti démocratique arrive au pouvoir. La dernière en date – la vingtième en quelques décennies − offre aux militaires au pouvoir le moyen de renforcer une légitimité que la précarité de la situation économique de cet ancien « tigre » de l’Asie a sérieusement érodée. Surtout, ce référendum est organisé au moment où s’annonce la fin du long règne du roi Bhumibol, 88 ans, qui est à l’agonie. La Thaïlande a beau être – précisément – une monarchie constitutionnelle, la personnalité de ce roi qui fut adulé par ses sujets a pesé d’un poids très fort à chaque épisode de l’histoire mouvementée de la Thaïlande contemporaine.

Désastre politique

Personne ne sait comment la monarchie va évoluer sous le règne de son fils, le prince Vajiralongkorn, qui est loin de faire l’unanimité. Selon la plupart des observateurs, le dernier putsch de 2014 a été en partie préparé pour tenter d’organiser en douceur la transition monarchique, alors que le prestige de la royauté a pâli dans les campagnes favorables à la démocratie et qui ont soutenu les premiers ministres renversés.

Pour les partisans de la démocratie, le vote de dimanche et la majorité incontestable qu’il a dégagée en faveur de la nouvelle Loi fondamentale constituent une sévère régression. Ce désastre politique est d’autant plus inquiétant qu’il ne règle aucune des questions qui hypothèquent l’avenir du pays : la disparition annoncée d’un souverain mythifié, le rôle de l’armée et le jeu des élites dans un royaume instable et appauvri.