Ce qu’il faut retenir des assemblées générales de la Banque africaine de développement
Ce qu’il faut retenir des assemblées générales de la Banque africaine de développement
Par Raoul Mbog (Lusaka, envoyé spécial)
L’institution réunie à Lusaka, en Zambie, s’est engagée à investir 12 milliards de dollars ces cinq prochaines années pour l’accès à l’énergie sur le continent.
Kelvin Doe sait qu’il est devenu une star. Le jeune Sierra-Léonais de 16 ans se prête de bonne grâce au jeu des photographes et enchaîne les interviews avec assurance. Pourtant, il affiche un sourire embarrassé quand la directrice de la filiale africaine d’une banque britannique lui tend sa carte de visite après un débat sur la création d’emplois pour les jeunes. L’adolescent fond en larmes après avoir serré la main des quatre chefs d’Etat venus ouvrir les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) organisées du 23 au 27 mai à Lusaka, la capitale zambienne. A chacune de ses apparitions, Kelvin Doe est présenté comme un « héros », un « génie », pour avoir un beau jour de 2012, alors qu’il n’avait que 12 ans, fabriqué de bric et de broc un petit engin qui fournit de l’électricité à son hameau situé dans les faubourgs de Freetown.
L’espoir venu de Sierra Leone
Un « héros » et un « génie », donc, même s’il a d’abord fallu que Kelvin Doe soit repéré et invité par d’autres grosses têtes, des étudiants de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), l’une des institutions universitaires les plus prestigieuses des Etats-Unis. Qu’importe ! « L’expérience de ce jeune homme est un exemple, un symbole et un espoir. C’est la preuve que l’Afrique n’est pas condamnée à vivre dans l’obscurité », s’est enflammé le président de la BAD. Akinwumi Adesina a voulu faire du jeune prodige sierra-léonais la mascotte des assises de Lusaka qui portaient sur le thème de l’énergie et du changement climatique.
Pendant cinq jours, près de 5 000 personnes dont des responsables politiques et institutionnels ainsi que des acteurs économiques et de la finance devaient réfléchir sur la meilleure manière de répondre au déficit énergétique de l’Afrique, qui, lui, coûte entre deux à quatre points de PIB par an. Et ce sont les personnes les plus pauvres qui paient les coûts les plus élevés en termes d’accès à l’énergie.
A sa prise de fonction, en septembre 2015, Akinwumi Adesina avait proposé une feuille de route déclinée en cinq grandes priorités présentées comme le « Top 5 pour transformer l’Afrique » : éclairer le continent, le nourrir, l’industrialiser, l’intégrer et améliorer la qualité de vie des Africains. Un engagement renouvelé à l’issue des débats.
De la lumière pour tous
La BAD va investir 12 milliards de dollars (10,8 milliards d’euros) dans le secteur de l’énergie sur les cinq prochaines années, essentiellement dans des énergies renouvelables. Sur ce plan, les atouts du continent sont connus. Un potentiel solaire de 10 térawatts (TW), des ressources hydroélectriques de 350 gigawatts (GW), un potentiel éolien de 110 GW et géothermique supplémentaire de 15 GW. « Nous mettrons également en place divers instruments pour réduire les risques d’investissement de manière à pouvoir mobiliser entre 45 et 50 milliards de dollars dans le secteur », clame, ambitieux, M. Adesina en déclinant ce qu’il qualifie de « nouveau partenariat pour l’énergie ».
Dans ce cadre, quelques projets sont déjà avancés comme celui du barrage hydroélectrique de Ruzizi, entre le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, tous trois membres de la Communauté économique des pays des Grands-Lacs (CEPGL). La BAD a approuvé le déblocage de 138 millions de dollars en prêts et subventions sur les 625 millions de dollars nécessaires au financement de la centrale d’une capacité de 147 MW. Le reste du financement devra être porté par la CEPGL et un consortium composé de deux fonds d’investissement.
Pour la BAD, l’Afrique est en mesure d’assurer l’accès pour tous à l’énergie tout en diminuant sa contribution aux émissions de CO2. Seulement, « ce potentiel ne sera transformé en une amélioration des conditions de vie qu’avec une intervention dynamique des pouvoirs publics et des partenaires privés », explique l’économiste Abebe Shimeles, soulignant à demi-mot que l’institution ne peut pas tout faire toute seule.
Transformer l’agriculture
Parmi les engagements pris lors de la réunion de Lusaka figure l’appui à une transformation agricole en Afrique. En réalité, la banque reprend une initiative lancée en octobre 2015 à Dakar et nommée « Nourrir l’Afrique » : un plan d’action en vue de mobiliser les 315 milliards à 400 milliards de dollars dont le continent a besoin sur dix ans pour faire de l’agriculture un secteur compétitif à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, malgré les nombreuses potentialités, le secteur agricole ne pèse qu’un quart du PIB des pays africains. S’ajoute à cela la malnutrition, qui coûte 25 milliards de dollars chaque année à leurs économies, selon des estimations de la BAD. Dans ce contexte, parvenir à la sécurité alimentaire est une urgence économique. L’initiative « Nourrir l’Afrique » prévoit de faciliter des investissements privés et des prêts des banques commerciales à travers un partage des risques.
« Déficit de financement »
Mais, là non plus, l’institution africaine d’appui au développement ne peut pas tout faire toute seule. Une implication du secteur privé et des Etats comme celle d’autres partenaires institutionnels est essentielle. « La question clé est le déficit de financement : 92 milliards de dollars manquent chaque année au développement de l’Afrique. On ne peut trouver cet argent qu’à travers une collaboration de tous les acteurs », reconnaît la banquière d’affaires sud-africaine Zienzile Musamirapamwe.
C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre l’appel pour la sécurité alimentaire lancé le 23 mai par John Kufuor, ancien président du Ghana, et Koffi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies. Les deux personnalités ambitionnent de mobiliser un leadership africain sur la question de la malnutrition : près d’un million d’enfants africains souffrent de malnutrition grave. Or, suggère l’appel, « si la croissance de nos enfants est assurée, la croissance de notre économie l’est aussi ».