Ce matin, à la lecture du Monde.fr, je découvre avec étonnement l’existence d’un phénomène que la science n’a jamais prouvé, et qui pourtant surgit dans ses colonnes : la quatrième dimension existe ! Si on se réfère à un programme bien connu des amateurs de séries vintage, en effet, il y a bien un monde parallèle dans lequel existe une autre Nice, et que connaît bien celui qui a signé cette tribune du Monde.fr, Frédéric Saint-Clair, « analyste stratégie et communication politique ».

Pour Frédéric Saint-Clair, en effet, qui fait l’honneur à l’humanité de délivrer dans les colonnes d’un quotidien estimable la profondeur d’une analyse stratégique qu’il destine d’ordinaire à ses copains de bistrot et à ses voisins de palier, je serais à la fois un délinquant et un tyran, dirigeant une ville couverte d’étrons canins, où règnent l’insécurité et la terreur djihadiste, et qui s’abîme au milieu d’un désert culturel.

L’homme qu’il dénonce et la ville qu’il décrit, je ne les reconnais pas. Sans doute parce que Frédéric Saint-Clair vit dans cette quatrième dimension où tous les délires sont permis, tandis que je vis dans notre réalité, partagée.

Délinquant, donc, parce que je ne respecte pas la loi, notamment celle qui interdit le cumul des mandats. Je mets donc au défi Frédéric Saint-Clair d’étayer cette accusation devant les tribunaux comme ce serait son devoir de citoyen, s’il était de ce monde. J’ai été élu et réélu par les Niçois en 2008 puis 2014, et tous les recours intentés contre ces élections ont été rejetés par les tribunaux. J’ai été élu président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) en décembre 2015, et tous les recours intentés contre cette élection ont été à leur tour rejetés par les juges. J’ai démissionné de mes fonctions de député, je quitte mes fonctions de maire de Nice, c’est la loi qui le veut et c’est ce que je fais. Frédéric Saint-Clair n’est donc pas seulement auteur de science-fiction, il est aussi juge, et juge au-dessus des juges. Il condamne, et il le dit, et la Nation tremble devant ses arrêts.

Tyran, parce que je manipule mes successeurs, je les maraboute, je les envoûte, je les hypnotise. Marine Brenier, qui vient de vaincre le Front national dans une législative partielle, n’a pas de personnalité, pas de mérites, pas de compétence : elle est ma créature, affirme Frédéric Saint-Clair. C’est tout juste s’il n’ajoute pas que c’est sa nature, puisqu’elle est jeune, et femme. Quant à Philippe Pradal, qui est candidat à la fonction de maire de Nice et incarne aux yeux de tous, dans notre monde, la rigueur et la modestie même, il n’a pas de vertus, pas de convictions, pas d’expertise, il est mon complice, proclame-t-il aussi. Je laisse à chacun d’eux le soin de réfléchir aux moyens légaux de purger ce que, dans ma réalité, j’appelle des insultes. Je souligne cependant que Frédéric Saint-Clair, en me comparant à Vladimir Poutine, omet une donnée essentielle : à moins que je n’ensorcelle aussi les dizaines de milliers d’électeurs qui les ont choisis, ce qui ferait aussi de moi un phénomène de music-hall, tous deux ont été élus par les citoyens de Nice et de la 5e circonscription des Alpes-Maritimes, librement.

Venons-en enfin à la ville de Nice. Frédéric Saint-Clair en dresse un tableau apocalyptique, tel que je n’en avais plus lu depuis longtemps. Sans doute est-ce parce que ses sources sont périmées (il se réfère tout de même à une opinion que Paul Valéry a formulée à propos de Jean Médecin dans les années… 1930), et qui pourrait lui en vouloir, au vu d’une notoriété telle que visiblement, il n’a pas le temps de mettre à jour ses fiches ?

Est-ce donc dans une ville jonchée de déjections canines que la Tour de France a fêté son centenaire ? Est-ce un espace urbain dégoûtant que Nice a présenté à l’UNESCO en vue d’obtenir l’inscription de la promenade des Anglais au patrimoine de l’Humanité ? Frédéric Saint-Clair devrait revenir à Nice, qu’il a visiblement quittée il y a bien longtemps. Il y découvrirait une cité à la propreté exemplaire, récipiendaire d’une quantité extraordinaire de labels environnementaux, que j’épargne au lecteur mais que je suis prêt à produire devant Frédéric Saint-Clair, pour peu qu’il m’indique par quel moyen le rejoindre dans la quatrième dimension.

Nice serait aussi une ville rongée par la délinquance. C’est curieux. À moins que les faits m’aient échappé, ou que la presse soit ma complice, elle aussi, cela fait bien longtemps que la chronique nationale n’a pas rapporté des faits graves advenus ici (je dis ici, parce que j’écris de Nice, où j’habite). Nous n’entretenons pas une tradition d’homicides mensuels, de trafics internationaux notoires. Les Niçois ne tombent pas comme des mouches sous les balles des assassins ni sous l’emprise des overdoses. Il n’y a pas à Nice de zones de non-droit, et si je déplore la faiblesse des moyens que l’Etat met ici à la disposition de la police et de la justice, c’est pour mieux essayer d’y remédier, avec le peu de force que me laisse la loi de notre pays en tant que maire.

Nice serait aussi une copie ensoleillée de ce qu’en d’autres temps on appelait le Londonistan, une terre où se déverse la haine et où se colporte ouvertement l’islamisme radical. Eh bien non, Frédéric Saint-Clair, ce ne sont pas quelques tenues provocantes qui font de Nice une terre perdue pour la liberté religieuse, la tolérance entre les cultes, la laïcité et l’égalité entre hommes et femmes. Nice, c’est aussi la cité où tous les cultes se parlent, où toutes les libertés sont de mise, où notre Carnaval traditionnel s’est enrichi d’une soirée baptisée le Queernaval, et où pour autant, à chaque instant, avec l’arme de la loi, je ne cesse de combattre les radicaux de tous poils.

Nice enfin serait un désert culturel. À Nice travaille Irina Brook, directrice de notre centre Dramatique national. À Nice se tient le festival du Jazz, qui rassemble chaque année les plus grands noms des musiques actuelles et du jazz. À Nice, Ernest Pignon-Ernest est honoré cet été d’une grande rétrospective. À Nice, l’exposition Matisse, en 2013, a accueilli près de 300.000 visiteurs dans nos 14 musées, et encore 300 000 pour l’exposition consacrée à la Promenade des Anglais en 2015. À Nice, le festival du Livre a pour directeur artistique Franz-Olivier Giesbert. Et je ne parle pas des dizaines de troupes de théâtre, de groupes de musique dont ont émergé Hyphen-Hyphen et The Avener, de jeunes créateurs qui se frottent à toutes les disciplines aux anciens abattoirs, de street-artists comme C215, qui accompagnent notre nouvelle ligne de tramway. Or, le travail quotidien de tous ces hommes et ces femmes produirait un désert culturel. Frédéric Saint-Clair, vous avez une étrange conception du désert ! Mais j’oubliais : vous vivez dans une autre dimension !

Je ne parlerais évidemment pas de notre Ecovallée, une technopole où se concentrent des dizaines de start-ups et d’entreprises axées vers les nouvelles technologies de l’environnement, ni de notre université, qui vient d’obtenir de l’Etat le label IDEX, pour Initiative d’excellence. Je crois savoir en effet que Frédéric Saint-Clair confond technopole avec Sébastopol, et université avec Maïté.

Voilà, j’aurais pu me réfugier derrière une bonne vieille citation, toujours très commode, qui souligne que tout ce qui est excessif est insignifiant. Je ne l’ai pas fait parce que je ne voudrais surtout pas que tous ceux qui vivent, travaillent et créent à Nice puissent se sentir blessés, et que je veux leur dire, à eux, combien je suis heureux d’être à leurs côtés. Quant à Frédéric Saint-Clair, je ne regrette qu’une seule chose : jusqu’à ce jour, j’associai à ce nom, même orthographié différemment, celui d’une grande dame, Anne Sinclair, et celui de lord Brett Sinclair, le héros d’une autre série culte, Amicalement vôtre, qui est un parfait gentleman. Désormais, il sera inséparable de celui d’un extraterrestre. Quelle ironie !

Christian Estrosi, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et Président de la métropole Nice Côte d’Azur.