En Birmanie, des habitants de la région de Rangoun viennent se ravitailler en eau dans un lac. Avec des températures qui atteignent par endroits 40°C, le pays connait une sécheresse en partie due aux effets d’El Niño. | YE AUNG THU / AFP

Avril 2016 a été le mois d’avril le plus chaud jamais enregistré, rapporte l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA). Il s’agit du douzième mois consécutif de record de chaleur. Pour Jérôme Vialard, climatologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et membre du laboratoire Locean, deux phénomènes sont à l’œuvre : le réchauffement climatique anthropique et le phénomène climatique naturel El Niño. Le scientifique signale l’apparition probable d’un phénomène inverse dans les prochains mois : La Niña.

Jamais une si longue période de records n’avait été enregistrée depuis le début des relevés de températures en 1880. Le réchauffement climatique est-il seul en cause ?

Non, deux facteurs expliquent ces chaleurs sans précédents : le réchauffement climatique et le phénomène climatique naturel El Niño. D’un côté, un facteur anthropique, lié aux activités humaines, qui est associé à une lente hausse des températures moyennes de la terre depuis plus d’un siècle. De l’autre, un phénomène naturel particulièrement intense cette année.

Comment El Niño agit-il sur le climat mondial ?

El Niño se développe certaines années dans l’océan Pacifique en raison d’interactions entre l’océan et l’atmosphère. Normalement, les alizés, des vents intertropicaux, maintiennent les eaux les plus chaudes dans l’ouest du Pacifique et favorisent des remontées d’eau froides dans l’est, le long des côtes du Pérou. Lors d’une année El Niño, ces vents diminuent, voire s’inversent. En conséquence, l’océan Pacifique équatorial monte en température puis dégage de la chaleur dans l’atmosphère, ce qui réchauffe la température mondiale moyenne. Ce mode naturel de la variabilité du climat existe depuis très longtemps. Mais ce n’est pas le seul facteur régulant le thermomètre global. D’autres phénomènes existent, plus subtils, sur un temps beaucoup plus long, comme dans l’océan Atlantique.

Quelles interactions entre El Niño et le réchauffement climatique ?

Jusqu’à il y a trois ou quatre ans, nous n’avions pas de réponses claires à cette question. Aujourd’hui, on sait que les épisodes El Niño extrêmes vont devenir de plus en plus fréquents dans le contexte du réchauffement climatique. Les derniers ont été observés en 1982-1983, 1997-1998 et, donc, 2015-2016. Soit environ tous les quinze ans. Des études récentes indiquent que, dans l’hypothèse où le réchauffement se poursuit à la vitesse actuelle, la fréquence de ces événements pourrait être doublée à l’horizon 2100. On aurait alors affaire à un El Niño violent tous les sept ou huit ans.

Incendies au Canada, sécheresse en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale et en Afrique australe, inondations en Californie… Toutes les catastrophes climatiques qui sévissent cette année sur la planète sont-elles dues à El Niño ?

Il est délicat de relier toute anomalie climatique à El Niño. Toutefois, certains effets d’El Niño sont assez systématiques. C’est le cas de la sécheresse en Australie et en Indonésie, où les incendies aggravent la pollution atmosphérique de la région. D’autres événements observés cette année sont également induits par El Niño : en Amérique du Sud ou en Afrique de l’Est, El Niño contribue à une augmentation des pluies torrentielles, provoquant inondations et problèmes sanitaires. Avec un climat chaud et humide, les moustiques pullulent, ce qui engendre une aggravation du risque de nombreuses maladies tropicales comme la malaria, le chikungunya ou la fièvre de la vallée du Rift. El Niño a aussi des effets délétères sur les pêches dans l’est du Pacifique. Selon l’OMS, la santé de 60 millions de personnes pourrait être affectée par El Niño 2015.

Certaines connexions sont moins évidentes. En Inde, El Niño est statistiquement synonyme de faible mousson, comme cette année. Mais ce lien n’est pas systématique. Pareil en Alberta, au Canada : les graves incendies de la région de Fort McMurray ne sont pas forcément dus à El Niño.

Les prochains mois seront-ils également les plus chauds jamais enregistrés ?

Les prédictions sont toujours compliquées mais oui, on risque encore de battre des records dans les prochains mois. Car si El Niño touche à sa fin dans le Pacifique, les dérèglements de la circulation atmosphérique qu’il a induits ont réchauffé d’autres régions, comme l’océan Indien. Cette chaleur va mettre du temps à être larguée entièrement vers l’atmosphère, à cause de l’inertie thermique de l’océan.

Cependant, un phénomène inverse va sans doute se produire, refroidissant la température de l’eau : La Niña. Des événements La Niña relativement intenses et longs se produisent généralement après de forts El Niño. Selon la NOAA, il y a 75 % de chances que La Niña remplace El Niño à partir de juillet-août.

La Niña peut-elle ralentir le réchauffement climatique ?

De manière symétrique à El Niño, La Niña refroidit la température du globe. Pendant un La Niña, l’océan, plus froid, absorbe de la chaleur de l’atmosphère. De ce fait, la température moyenne mondiale baisse. Ces quinze dernières années, on a observé une plus grande fréquence d’événements La Niña plutôt que son inverse El Niño. De nombreuses études suggèrent que c’est cet excès d’absorption de chaleur par l’océan qui est à l’origine du léger ralentissement du réchauffement climatique (parfois baptisé « hiatus ») pendant cette période.

« Ces quinze dernières années, on a observé une plus grande fréquence d’événements La Niña plutôt que son inverse El Niño. »

Mais que devient cette chaleur ? Elle ne disparaît pas, mais circule dans l’océan. Elle pourrait être dégagée dans l’air, dans les années à venir, provoquant un retour de bâton pour le climat mondial. Si les phénomènes El Niño et La Niña individuels ont un effet relativement bref (environ un an), la succession de ces épisodes pendant une décennie peut changer le climat durablement. Le cycle de la chaleur dans le système océan-atmosphère associé à ces phénomènes constitue un des grands enjeux climatiques actuels.

Les impacts d’El Niño et de La Niña sont-ils forcément négatifs ?

Non, ils peuvent par endroits être positifs. Par exemple, l’Australie profite d’un La Niña pour recharger ses stocks d’eau pour les années suivantes. Les El Niño, eux, diminuent les risques de cyclones dans la mer des Caraïbes. Mais en général, les années El Niño et La Niña sont des années inhabituelles, qui tendent à mettre un grain de sable dans les rouages bien huilés de nos sociétés.