Comment Madame Dlamini-Zuma a plombé l’Union africaine
Comment Madame Dlamini-Zuma a plombé l’Union africaine
Le Monde.fr avec AP
Manque de courage politique, désintérêt, absence de vision : le bilan de la présidence de la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, qui s’achève en juillet, est jugé désastreux.
L’élection en 2012 de Nkosazana Dlamini-Zuma à la présidence de la commission de l’Union africaine (UA) avait suscité de l’espoir à plus d’un titre. Pour la première fois, une femme accédait à cette fonction : Nkosazana Dlamini-Zuma, originaire de la première puissance du continent, l’Afrique du Sud, dirigée par son ancien époux et compagnon de lutte anti-apartheid, Jacob Zuma.
Mais plutôt que de réenchanter l’organisation panafricaine, le mandat de quatre ans de Nkosazana Dlamini-Zuma a accéléré le déclin de l’UA. Sous sa présidence, la commission est « en lambeaux », lâche un fonctionnaire qui décrit un « personnel démotivé et une présidente désintéressée des problématiques africaines, plus soucieuse de sa carrière nationale en Afrique du Sud que de l’avenir du continent ». Mme Dlamini-Zuma, 67 ans, ne se représente pas à sa propre succession en juillet. On lui prête l’intention de prendre la direction de l’ANC en 2017 en vue de succéder à Jacob Zuma en 2019. Ces quatre dernières années, elle a en effet été plus présente et assidue aux réunions de son parti qu’à celles de sa commission.
Echecs politiques majeurs
Dépourvue de vision, taiseuse et pas assez présente à Addis-Abeba, au goût des ambassadeurs africains auprès de l’UA, Mme Dlamini-Zuma, s’est surtout illustrée en reprenant l’agenda Afrique 2063, un programme fourre-tout de « renaissance africaine », et en organisant des sommets sur les questions du genre et le droit des femmes n’aboutissant à aucune réalisation concrète.
De fait, cet organe crucial de l’UA n’a jamais semblé aussi atone et inaudible sur les grands dossiers politiques et sécuritaires du continent, incapable de surmonter les divisions et d’établir un semblant de rapport de forces avec les chefs d’Etat.
Pierre Nkurunziza, le président burundais, l’a bien compris, qui a plongé son pays dans un cycle de violences après avoir fait modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. Après quelques louvoiements, et quelques rodomontades de Mme Dlamini-Zuma, l’UA a dû renoncer, le 31 janvier, au déploiement de 5 000 hommes au Burundi dans le cadre d’une « mission de stabilisation ». Ce qui pourrait inspirer le président congolais Joseph Kabila, lequel semble caresser l’idée de ne pas quitter le pouvoir comme prévu fin 2016. L’UA a dépêché un « facilitateur » à Kinshasa pour tenter, en vain pour le moment, d’amorcer un dialogue entre pouvoir et opposition.
Sur la plupart des crises politiques et sécuritaires, l’UA a échoué. Il en va ainsi au Soudan du Sud, au Darfour, au Sahel ou en matière de lutte contre le terrorisme. Sur la Libye, son envoyé spécial a été privé des négociations qui se sont tenues fin 2015 à Skhirat, au Maroc, pays non-membre de l’UA et qui reconnaît la République arabe sahraouie démocratique depuis 1984. Et, face à Ebola, il aura fallu huit mois et près de 2 800 morts pour que l’UA organise une première « réunion d’urgence ». Mais, le plus souvent, l’organisation panafricaine a achoppé sur l’inflexibilité de présidents qui font valoir le principe de souveraineté et le sacro-saint concept de non-ingérence si cher à l’UA.
Nkosazana Dlamini-Zuma lors d’une conférence à Genève, en mai 2016 | Salvatore Di Nolfi / AP
Crise profonde
« Le président de la commission de l’UA est devenu un serviteur des chefs d’Etat, un secrétaire entouré de technocrates démotivés qui assurent une impunité totale aux puissants, constate un diplomate africain. Ceux qui ont changé leur Constitution auraient dû être sanctionnés, mais le mandat de Mme Dlamini-Zuma est celui des compromissions. »
Denis Sassou-Nguesso au Congo, Paul Kagame au Rwanda, Yoweri Museveni en Ouganda ont ainsi fait réviser ou modifier leur Constitution pour se maintenir au pouvoir sans s’attirer les foudres de l’UA.
La crise de l’UA est profonde. « Elle ne fabrique plus les imaginaires d’un panafricanisme qui se pense en dehors de ses instances et des systèmes étatiques où les concepts de solidarité, de sécurité et de culture n’ont plus leur place, constate l’historien Amzat Boukari-Yabara. En fait, l’UA est déconnectée des réalités et n’a pas réussi à intégrer les sociétés civiles dans les discussions. Elle reste donc un cercle de chefs d’Etat. »
Union africaine : "un sursaut" est nécessaire face aux crises
Durée : 04:03
L’organisation, de plus en plus bureaucratique, vivote avec un budget de 416 millions de dollars (365 millions d’euros, dont près du tiers est dédié au fonctionnement) assuré par des donateurs internationaux à hauteur de 92 % tant les Etats rechignent à payer leurs cotisations. Ce qui n’est pas le cas du Soudan, qui en 2015 a versé « 6 millions de dollars cash à la commission [de l’UA] en dépit des sanctions unilatérales qui lui sont imposées ». La contribution soudanaise fut accueillie avec effusion à Addis. Le président Omar Al-Bachir, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes contre l’humanité » et « génocide » au Darfour, est considéré comme un héros par certains de ses pairs, qui ne se privent pas de le rappeler dans les hémicycles de l’UA.
« L’Afrique a besoin d’un réarmement moral et l’UA aurait dû en être l’outil et la priorité, explique Amara Essy, ancien ministre des affaires étrangères ivoirien qui a contribué à la création de l’Union. L’avenir de l’organisation dépendra de la volonté des nouveaux leaders africains à perpétuer le travail de leurs aînés au service du continent. »
Raviver l’espoir
L’organisation subit aussi une crise de « leadership », comme le démontre les candidatures à la succession à Mme Dlamini-Zuma. Le ministre des affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, considéré par ses pairs comme « le meilleur diplomate du continent », a retiré sa candidature. L’Algérie détient déjà un poste stratégique avec Smaïl Chergui, commissaire à la paix et à la sécurité. L’Afrique australe veut briguer un second mandat en présentant la ministre des affaires étrangères du Botswana, Pelonomi Venson-Moitoi. Son homologue équato-guinéen, Agapito Mba Mokuy, est aussi en lice, de même que l’Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe, envoyée spéciale de l’ONU pour la lutte contre le sida. Trois personnalités qui sont déjà raillées par de nombreux diplomates africains. « Ce sont des candidats de troisième classe, ce qui prouve le mépris des chefs d’Etat pour la fonction et pour l’institution, soupire un ministre sahélien. Or il faut remettre cette commission sur les rails pour en refaire un instrument africain de politique étrangère et de développement. »
Les dirigeants d’Afrique de l’Ouest parviendront-ils à immiscer la candidature d’Abdoulaye Bathily ? Si tel est le cas, cet intellectuel sénégalais respecté, ancien ministre de son pays et actuel représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique centrale, pourrait peut-être raviver l’espoir au sein de l’UA. Mais les deux géants de l’UA que sont l’Algérie et l’Afrique du Sud semblent avoir fait leur choix. Par dépit et par intérêt politique, ils ont jeté leur dévolu sur la candidature de l’Afrique australe. Les chefs d’Etat décideront lors du 27e sommet de l’UA, qui se tiendra mi-juillet à Kigali, du successeur à Nkosazana Dlamini-Zuma et de l’avenir qu’ils souhaitent pour l’organisation panafricaine.