Dialogue de sourds entre la Chine et les Etats-Unis à Pékin
Dialogue de sourds entre la Chine et les Etats-Unis à Pékin
Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Les deux géants ont réaffirmé lundi 6 et mardi 7 juin leur refus de la confrontation lors du Dialogue économique et stratégique. Dans les faits pourtant, les sujets de contentieux se multiplient.
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, avec le président chinois, Xi Jinping, au Palais du peuple à Pékin, mardi 7 juin 2016. | POOL / REUTERS
Des cyberattaques au marché de l’acier en passant par la rivalité croissante en mer de Chine méridionale, les contentieux n’ont pas manqué au cours du dernier Dialogue économique et stratégique Chine/Etats-Unis à avoir lieu sous l’administration Obama, lundi 6 et mardi 7 juin. Le forum s’est achevé avec 60 accords, mais aussi un certain nombre de dossiers en suspens.
Aucune véritable offensive des Américains n’était attendue : c’est au prochain gouvernement américain issu de l’élection du 8 novembre que reviendra la tâche de pousser plus agressivement la Chine sur certains dossiers. Les Chinois, de leur côté, ont paru sur la défensive, conscients que leur économie chancelante les pénalise.
Ce mécanisme de rencontres annuelles date de l’administration de George W. Bush, mais a été élargi sous Barack Obama aux questions stratégiques, du réchauffement climatique à la Corée du Nord.
« Même dans une famille, il y a des disputes »
Le président chinois, Xi Jinping, avait inauguré lundi la session 2016, à la résidence d’Etat de Diaoyutai, en rappelant qu’il est « inévitable pour les deux pays d’avoir des désaccords… Même dans une famille, il y a des disputes. L’important est pour nous de ne pas utiliser ces différends dans une attitude de confrontation ». Cette formulation n’est pas nouvelle, elle reprend les éléments de langage habituels de la diplomatie chinoise.
Les tensions en mer de Chine sont un dossier géopolitique complexe et les deux pays n’en discutent pas de manière directe, car les Etats-Unis n’ont pas de prétentions territoriales dans la région, comme l’a rappelé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry. En revanche, Pékin et plusieurs pays d’Asie du Sud-Est se disputent la souveraineté d’îlots dans l’archipel des Spratleys – et ce qui va avec, c’est-à-dire d’éventuelles eaux territoriales et zones économiques exclusives. Or la Chine, seul pays à ne pas occuper d’îlots naturels, a entrepris en 2014 d’aménager des îles artificielles sur des récifs et de les doter d’infrastructures sophistiquées, qui vont lui permettre de renforcer sa présence navale et militaire.
Les Etats-Unis voient dans ces initiatives une source de tensions régionales et une menace à la liberté de navigation. Pékin est en outre soupçonné par les pays riverains de préparer l’établissement d’une zone aérienne d’identification dans la région – comme il l’avait fait fin 2013 en mer de Chine orientale.
« Souveraineté territoriale »
En arrière-plan se joue une lutte d’influence entre Chine et Etats-Unis. Lors de la conférence de presse finale du Dialogue, mardi après-midi, le conseiller chinois pour les affaires étrangères, Yang Jiechi, a renvoyé la balle aux Etats-Unis, les appelant à « scrupuleusement respecter leur promesse de ne pas prendre parti dans les disputes territoriales et à jouer un rôle constructif dans la sauvegarde de la paix et de la stabilité en mer de Chine du Sud ».
Les Américains ont obtenu des Chinois qu’ils s’engagent à « respecter la liberté de navigation et de survol » dans la région. Pékin a rappelé, comme il le fait systématiquement, que son droit de faire respecter sa « souveraineté territoriale et maritime dans la région » remonte « à des temps anciens ». Une notion incompatible avec l’application des « lois internationales » telle que l’a invoquée M. Kerry.
Réprimandes commerciales
Les questions économiques n’ont pas davantage rapproché les deux géants. Le secrétaire d’Etat américain au Trésor, Jacob Lew, a critiqué lundi la Chine pour « les dégâts et l’effet de distorsion » provoqués par les surcapacités chinoises sur les marchés mondiaux, notamment dans l’acier. La Chine produit la moitié de l’acier mondial et a vu sa production nationale multipliée par sept entre 2000 et 2014, sous l’effet d’un boom sans précédent des infrastructures et de la construction.
Or, la croissance a fortement ralenti et le déluge de crédits alloués après 2009 a conduit à un endettement préoccupant des collectivités locales et des entreprises. Pékin brade son acier et son aluminium sur les marchés mondiaux.
La Chine de Xi Jinping supporte mal ce genre de réprimandes. Le ministre des finances chinois, Lou Jiwei, a rappelé que les officiels étrangers s’étaient félicités pendant la crise financière globale de 2008 de voir la Chine prendre le rôle de locomotive de la croissance mondiale. « A l’époque, le monde entier a applaudi et remercié la Chine », a déclaré M. Lou lundi. « Maintenant, ils disent que la Chine a des surcapacités qui tirent la croissance mondiale par le bas », s’est défendu le ministre.
Lors des déclarations communes finales des deux délégations mardi, la Chine a néanmoins promis de faire tout son possible pour réduire ses capacités de production dans l’acier, éviter une dévaluation du yuan et fermer ses entreprises d’Etat qualifiées de « zombies ».